Le Voyage d’Arlo

Publié par Kevin Gauthier le 24 novembre 2015 | Maj le 10 mai 2018
    • Production : Pixar Animation Studios
    • Titre original :  The Good Dinosaur
    • Titre français : Le Voyage d’Arlo
    • Sortie française : 25 novembre 2015
    • Sortie américaine : 27 novembre 2015
    • Durée : 1h40
    • Long-métrage d’animation 3D
    • Réalisateur : Peter Sohn
    • Scénario : Bob Peterson et Enrico Casarosa
    • Musique : Thomas Newman

Critique du film Le Voyage D’Arlo

Il y a des films d’animation qui, par les chamboulements divers et variés dans leurs étapes de gestation et leur traitement pour leur distribution en salles, changent leur destinée du tout au tout. Le Voyage d’Arlo, 16ème titre du catalogue des Studios d’Animation Pixar, incarne à lui seul ce phénomène. Et sa sortie dans les salles n’en est que plus particulière. Pour la première fois de l’histoire, deux longs-métrages produits par les Studios de John Lasseter sont distribués la même année, à près de six mois d’intervalles, dans les salles. Du jamais vu quand on sait que 2015 a également fait briller deux autres labels animés en France, les Studios d’Animation Walt Disney et les DisneyToon Studios. L’agenda des sorties animées de The Walt Disney Company France chargé comme jamais se devait d’être impeccablement travaillé pour ne pas faire pâtir un film plus qu’un autre, d’autant que les quatre films (Les Nouveaux Héros en février, Clochette et la Créature Légendaire en avril, Vice-Versa en juin et Le Voyage d’Arlo en novembre) comportaient des enjeux spécifiques et importants.

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Le Disney-Pixar de Noël

Le succès de son prédécesseur s’est fait ressentir au niveau national et international. Il pourrait soit étouffer ou éclipser celui du (Le) Voyage d’Arlo ou au contraire l’aider à s’attirer la même popularité par fidélisation. Ce Disney-Pixar possède un avantage supplémentaire, celui de bénéficier d’une sortie privilégiée pour les fêtes de fin d’année (25 novembre en France et aux Etats-Unis). Avec ce nouveau film, le catalogue de Pixar revient à ses fondamentaux en proposant le Pixar de Noël, alors que les films avaient plus tendance à être proposés en juin depuis Le Monde de Nemo. Le Voyage d’Arlo entend donc rentrer dans les pas des succès unanimes, tant commerciaux que critiques, des Disney de Noël de ces dernières années, de Raiponce aux (Les) Nouveaux Héros, en passant par le phénomène incontournable de La Reine des Neiges.

AN UNLIKELY PAIR — In Disney•Pixar’s “The Good Dinosaur” Arlo, an Apatosaurus, encounters a human named Spot. Together, they brave an epic journey through a harsh and mysterious landscape. Directed by Peter Sohn, “The Good Dinosaur” opens in theaters nationwide Nov. 25, 2015. ©2015 Disney•Pixar. All Rights Reserved.

Pixar propose ainsi pour les fêtes son nouveau conte, comme il sait si bien le faire depuis plusieurs années. Empreint de magie, de poésie et d’humour, de marqueurs narratifs forts comme les thèmes de la famille, de l’amitié et plus surprenant pour ce label, du deuil, il mêle savamment sous forme d’un périple initiatique, pouvant à juste titre s’apparenter à un conte philosophique, des ingrédients piochés dans tous les succès précédents de Pixar mais également de la mythologie disneyienne. Si l’originalité ne prime pas dans le scénario, il n’en résulte pas moins que Le Voyage d’Arlo est une véritable réussite tant par son histoire poignante que son esthétique soignée.

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Il faut dire qu’une maturité artistique aussi poussée est la résultante de plusieurs années de travaux mais également d’aléas de production. A l’origine, le projet de réinventer le monde des dinosaures, si déjà brillamment acclamé dans un autre genre par une autre maison de production en 2015 (Jurassic World), remonte à 2009. A la tête de cette aventure, John Lasseter, directeur artistique des Studios Pixar et Disney, place deux forts tempéraments artistiques. D’un côté, Bob Peterson, animateur de la première heure au sein des Studios Pixar, a fait ses preuves comme co-scénariste sur 1001 Pattes, Toy Story 2, Le Monde de Nemo, Là-Haut (où il épaulé Pete Docter à la réalisation), Le Monde de Dory, mais également le court-métrage Exploring the Reef ; de l’autre, Peter Sohn, lui aussi animateur et storyboardeur de métier entré par la petite porte dans l’univers de Pixar grâce à son mentor Brad Bird, alors qu’il avait déjà mis ses talents à profit chez Disney ou Warner.

THE GOOD DINOSAUR

Un changement de cap durant la réalisation du film

Beaucoup de longs-métrages Pixar ont subi un changement de cap de production durant leur création. Les films Ratatouille (changement de réalisateur : Jan Pinkava remplacé par Brad Bird), Cars 2 (changement de réalisateur : Brad Lewis par John Lasseter) et bien sûr Rebelle (changement de réalisateur : Brenda Chapman par Mark Andrews) en ont fait les frais. Le syndrome – un bien pour un mal – de perfection des œuvres pixariennes n’est plus à considérer en tant que tel. Leur direction artistique exigeante et pointilleuse est une science qui a maintes fois prouvé son efficacité. Chaque film est véritablement ciselé dans les moindres détails, de son scénario de base à son animation en passant par les dialogues. C’est ainsi que l’ensemble des chefs d’œuvre Pixar est aujourd’hui salué à travers le monde entier. Vingt ans après la sortie de Toy Story au cinéma, le processus artisanal de fabrication pixarien a gardé toute son essence. Le Voyage d’Arlo est donc passé par de multiples étapes avant d’aboutir en salles. En juin 2011, sa sortie est annoncée pour le 27 novembre 2013. Durant la D23 Expo (la grande messe de The Walt Disney Company) de cette même année, les premiers détails sur le film émergent. Le thème retenu par Peterson et son producteur principal John Walker sera les dinosaures, là où Disney n’a jamais fait l’unanimité avec son film d’animation des années 2000, lui aussi réalisé en CGI. Bob Peterson et Peter Sohn travaillent intensément sur cet univers inédit des Studios Pixar mais la pré-production du film requiert une attention manifestement plus conséquente que n’importe quel autre film réalisé auparavant chez Pixar. John Lasseter en a conscience et décide avec ses équipes de repousser une première fois la sortie de The Good Dinosaur au 30 mai 2014. En réalité, mais cela ne sera jamais admis publiquement, il s’agit plus de divergences artistiques que de contraintes de temps. La D23 Expo 2013, vitrine de toutes les prochaines productions Disney, se retrouve dans une situation délicate : faire l’impasse sur la promotion du film ou enclencher médiatiquement la nouvelle étape de production nécessaire pour ne pas faire mourir à petit feu le projet. Bob Peterson et John Walker brilleront donc par leur absence au Panel consacré à l’animation et c’est tout bonnement Peter Sohn et Denise Ream, co-productrice du film, qui seront chargés de le présenter.

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THE GOOD DINOSAUR – SEEING THE LIGHT — An Apatosaurus named Arlo makes an unlikely human friend in Disney•Pixar’s “The Good Dinosaur.” Directed by Peter Sohn, “The Good Dinosaur” opens in theaters nationwide Nov. 25, 2015. ©2015 Disney•Pixar. All Rights Reserved.

C’est alors tout naturellement qu’Ed Catmull, président des studios de Luxo, revient officiellement quelques semaines plus tard sur les conditions de départ de Peterson. Dans la foulée, et pour la deuxième fois consécutive, le film voit sa date de sortie dans les salles obscures repoussée d’un an et demi (25 novembre 2015, date initialement octroyée au (Le) Monde de Dory). Ce film aux allures chaotiques n’en finit pas de semer le trouble. John Lasseter, Lee Unkrich, Mark Andrews et Peter Sohn sont décidés à ne pas détériorer la base scénaristique du projet tout en revoyant, et c’est bien le but après tout, sa copie. Le Voyage d’Arlo provoquera alors en novembre 2013 le départ de 67 employés du Studio mère, en raison de trop grands retards de production sur ce film en particulier, un licenciement massif survenant un mois après la suppression définitive du Studio satellite canadien de Pixar. Il faudra à l’équipe restreinte près d’une année pour à la fois intégrer complètement le projet et le réimaginer à leur manière. De nouveaux éléments viennent alors s’ajouter à l’intrigue quand d’autres modifient totalement l’identité de certains personnages comme le dinosaure Arlo, passant du stade d’adolescent à celui d’enfant. Le nouveau président des Studios Pixar annonce en novembre 2014 la nomination de Sohn à la réalisation du projet sans qu’aucun autre réalisateur ne vienne l’épauler par la suite, preuve que la confiance a été scellée durant cette année décisive. Le Voyage d’Arlo connaît sa troisième D23 Expo durant l’été 2015 et est présenté de manière très détaillée au public et aux médias par Peter Sohn et Denise Ream.

DENISE REAM, PETER SOHN

Peter Sohn est natif du Bronx new-yorkais. D’origine coréenne, il se passionne très tôt, comme nombre de ses homologues, pour le domaine de l’animation et passe sans mal ses dernières années de formation universitaire à la California Institute of the Arts. Ce jeune animateur de vingt ans est alors très vite repéré par Brad Bird, qui lui confie pour ses stages d’été quelques missions comme animateur additionnel sur Le Géant de Fer (1999). En 2001, toujours chez  Warner Bros. Feature Animation, il poursuit sa carrière d’animateur sur Osmosis Jones, de Peter et Bobby Farrelly. C’est durant l’année 2002 qu’il intègre le plus emblématique des studios d’animation en images de synthèse, Pixar. Il se spécialise ainsi en story-boarding sur Le Monde de Nemo (2003). Les Indestructibles (2004) lui permettent de retrouver Brad Bird. Outre son travail de story-boarding, il y animera également quelques séquences et prêtera sa voix pour quelques personnages secondaires. En 2005, le cartoon L’Homme-Orchestre de Mark Andrews et Andrew Jimenez est l’occasion pour lui de parfaire son expérience à une échelle de moindre importance chez Pixar. Il se plaît manifestement dans ce studio, qui lui confie à nouveau en 2007 des missions de story-boardeur et animateur sur Ratatouille et son cartoon dérivé, Notre Ami le Rat. Il se distinguera dans ces films également en doublant en version originale un personnage plus important que les précédents, celui d’Emile, le frère de Rémy. Wall-E (2008), Là-Haut (2009) ou encore Toy Story 3 (2010) exploiteront encore ses talents de story-boardeur. Parallèlement, Peter Sohn collabore avec John Lasseter et Brad Lewis pour adapter en version anglaise le film d’animation Ponyo sur la Falaise, réalisé par Hayao Miyazaki et produit par ses studios Ghibli, que la maison de Mickey co-distribuera sur le sol américain. Sa véritable première réalisation survient en 2009 sur le cartoon Passages Nuageux. Peter Sohn fait ses preuves et est engagé aux côtés de Bob Peterson pour réfléchir sur Le Voyage d’Arlo. Entre temps, quelques doublages de second plan occupent son temps libre, comme la voix de Russell dans le cartoon George et A.J. (2009), celle de Thierry Sélectif dans Mini-Buzz de la série des Toy Story Toons (2011) ou encore celle de Squishy dans Monstres Academy (2013).

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Peter Sohn garde une partie du cadre durement construit avec Bob Peterson. Le postulat de départ est d’imaginer à partir d’une situation réelle un détournement surréaliste, en l’occurrence un phénomène paléoastronomique inédit. Le film part alors du principe, certes très facile mais efficace, que l’ère des dinosaures sur Terre n’a jamais cessé il y 65 millions d’années, que l’astéroïde censé exterminer toutes ces formes de vie ne s’est jamais écrasé sur Terre, provoquant ainsi plusieurs millions d’années plus tard la cohabitation entre humains et créatures du Jurassique. Le Voyage d’Arlo raconte alors comment deux êtres vivants que tout oppose finiront par se lier d’amitié. A mi-chemin entre la fable philosophique et le récit d’aventures, Le Voyage d’Arlo reprend avec brio, mais sans grande originalité une fois encore, ce qui se fait de mieux depuis 20 ans dans les longs-métrages Pixar : l’union fortuite de deux personnages aux personnalités ou aux expériences incompatibles.  Ainsi, c’est d’abord et avant tout la poésie qui se dégage de manière subtile tout le long du film, qui renoue avec le thème majeur de l’amitié, sublimé de tous temps par la maison Pixar, de Toy Story (pour Woody, Buzz l’Eclair et Andy) à Là-Haut (avec Carl Fredricksen et Russell), Ratatouille (Rémy et Linguini) en passant par Le Monde de Nemo (Dory et Marin) ou Monstres & Cie (Bob et Sulli). Pour la toute première fois, Pixar se place à l’échelle de l’enfance, facteur commun dans cette amitié naissante entre le jeune Apatosaure Arlo et le petit homme de Neandertal, Spot.

D23 EXPO 2015 - D23 EXPO, the ultimate Disney fan event, brings together all the past, present and future of Disney entertainment under one roof. Taking place August 14-16, this year marks the fourth D23 EXPO at the Anaheim Convention Center and promises to be the biggest and most spectacular yet. (ABC/Image Group LA) DENISE REAM, PETER SOHN

Ce film raconte l’histoire de la rencontre entre Arlo, un dinosaure plutôt maladroit et craintif, et Spot, un petit homme des cavernes, énergique et débrouillard. Dans un monde où l’extinction des dinosaures n’a jamais existé, Arlo et Spot vont vivre des aventures incroyables et mouvementées. Grâce à une amitié grandissante et une grande solidarité, les deux compagnons vont découvrir de quoi ils sont réellement capables et surmonter les plus rudes épreuves.

Le Voyage d’Arlo pour le jeune public

Et c’est manifestement au jeune public que s’adresse Le Voyage d’Arlo, en ce sens où tous les défis et péripéties traversés par Arlo et Spot appellent à la réflexion morale du point de vue d’un enfant et non d’un adulte, et contribuent à l’épanouissement intellectuel et la prise de conscience et de maturité d’Arlo. Pour ces raisons éducatives évoquées,le film de Peter Sohn s’inscrit dans la droite lignée de véritables chefs d’œuvre des Studios Disney tels que Bambi, Alice au Pays des Merveilles, Le Roi Lion, Tarzan ou Le Livre de la Jungle. C’est un véritable parcours de l’enfance jalonné de pièges, de bonheurs, de rencontres et d’émotions qui se dessine dans le film. Le spectateur suit la vie d’Arlo comme la vie de n’importe quel être vivant dès sa naissance. Et une bonne première partie du film s’attarde à retracer les premiers pas incertains de la vie tandis que le voyage en lui-même constitue le fameux rite initiatique voltairien.

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Si ce récit pédagogique construit la relation entre Arlo et Spot, cette amitié se soude aussi grâce à un autre thème central du film traité, une fois encore, avec parcimonie et simplicité, celui de la perte et de la distance. Reprenant alors une recette très avidement utilisée par les scénaristes des Studios d’Animation Walt Disney (Cendrillon, Le Roi Lion et plus récemment Les Nouveaux Héros), ces vecteurs scénaristiques universels résonnent avec justesse dans le cœur des personnages. On peut alors se demander légitimement si le départ de Bob Peterson n’aurait pas altéré cet aspect si délicat de l’histoire. Peter Sohn, sans véritable audace mais de manière totalement assumée, se sert à la fois de ses propres expériences personnelles et de ce qui peut toucher de manière juste le public pour donner au récit une saveur réaliste bienvenue. A l’image du succès Disney de 1994, les questions du positionnement dans le foyer familial, du sens de la persévérance et du labeur pour vivre et non survivre, de la filiation, du poids des responsabilités, de la différence, de la survie dans la nature hostile, de l’affection pour l’autre et enfin du dépassement de soi, forgent l’esprit du scénario du (Le) Voyage d’Arlo. Ces thèmes véhiculés de manière plus ou moins légère sont pour certains d’entre eux renforcés par l’intervention de personnages secondaires tous plus truculents les uns que les autres, et qui entraînent Arlo à grandir, se poser des questions que n’importe quel enfant pourrait se poser, mais également à parvenir à résoudre ces problématiques. En cela, Le Voyage d’Arlo réussit allègrement le pari de séduire les plus jeunes dans un format très consensuel mais sans défauts.

Et c’est en effet les personnages du film qui, à différents stades du film, marquent de leur empreinte les éveils intellectuels et adultes d’Arlo. Les profils développés avec soin par les artistes du film séduisent le spectateur au point même que ce dernier s’y attache quelquefois. Mais la sauce ne prend hélas pas avec tous ces dinosaures.

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Arlo, un personnage attachant

Avant d’aborder chacun d’entre eux, il est tout d’abord intéressant de présenter le protagoniste principal du film, Arlo. Sans conteste, il réside en ce personnage la quintessence de la complexité des personnages pixariens. Né au sein d’une portée de trois enfants, ce jeune Apatosaure (un dinosaure phytophage au long cou) est dès sa naissance le plus froussard et maladroit de la famille. S’il ne souffre d’aucun complexe physique ou psychologique, la vie ne semble pas lui avoir donné tous les atouts nécessaires pour apprendre à survivre à la nature et ses épreuves hostiles. Là encore, à plusieurs égards, la ressemblance avec le lionceau Simba est frappante. Apprenant à affronter les premières épreuves de son enfance, notamment grâce au soutien sans failles de son père, Arlo est séparé de sa famille quand lui et son père tombent dans une tempête foudroyante entraînant la montée des eaux d’une rivière. Il est alors livré à lui-même pour faire face non seulement à ses doutes perpétuels mais également à ses agresseurs naturels. Il faudra tenter de survivre dans ce milieu hostile pour un jeune dinosaure et retrouver le chemin de la ferme familiale, en suivant la rivière et visant la montagne aux trois pics. Ce personnage, dessiné et animé de manière très cartoonesque, est interprété par Raymond Ochoa dans la version originale du film et Jean-Baptiste Charles dans la version française. Toute l’innocence et la pureté du personnage contrastant avec l’environnement qui l’entoure sont canalisées dans sa voix et les traits de son visage. Au-delà de son attachement familial véritablement touchant, deux liens affectifs forts se dégagent tout au long du film.

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D’abord, celui du père Henry et de son fils. Patriarche accompli de la tribu familiale, il concentre à lui seul toutes les valeurs paternalistes du film. Agriculteur et éleveur de métier, il met sa famille au centre de ses priorités personnelles. Une fois encore, l’analogie avec un Mufasa de Disney n’en sera que plus flagrante. La stature, la sagesse mais aussi son affection paternelle sont renforcées par son apparence imposante mais rassurante, et sa voix grave mais réconfortante. Doublé par Jeffrey Wright aux Etats-Unis et Xavier Fagnon en France, Henry est l’icône morale du film par excellence.

THE GOOD DINOSAUR - Pictured: Spot. ©2015 Disney•Pixar. All Rights Reserved.

Mais un autre lien se tisse dans le film entre Arlo et un personnage. Il s’agit évidemment du jeune humain quadrupède, Spot. Entre un Mowgli encore plus sauvage et un Tarzan audacieux, ce petit homme limitant ses interventions orales à des onomatopées est manifestement esseulé depuis un moment et a appris à affronter les aléas naturels et survivre dans cet environnement hostile. Si Arlo a le don de la parole, Spot a été imaginé comme un enfant au comportement et à l’instinct animal. Se tenant sur ses quatre membres, rugissant, vivant des produits bruts de la nature, et privé de codes sociaux primaires, Spot est l’antithèse d’Arlo : sans peur et sans relâche, débrouillard et libre. Les circonstances qui réunissent les deux personnages et les font se lier d’amitié sont d’autant plus poétiques ou drôles. Le comique de situation de ce film se base, comme tout bon Pixar, sur la dualité paradoxale de deux archétypes narratifs opposés. Leur expérience commune les rapprochera au contraire : leur isolation du monde et de leurs proches aura pour effet de créer une osmose affective inattendue, une compréhension psychologique de l’autre et enfin une confiance réciproque. Un procédé que les grands manitous de Pixar manipulent avec toujours autant de brio, mais, et il faut le dire, plusieurs années après un Là-Haut révolutionnaire, de moins en moins surprenant. Néanmoins, la construction universelle de cette relation amicale entre deux enfants prend aisément auprès des plus jeunes comme des plus anciens. Bourrée de drôlerie, d’affection et d’estime mutuelle, l’amitié entre Arlo et Spot remporte haut la main l’adhésion du public, à tous les stades de son évolution.

A TRIO OF T-REXES — An Apatosaurus named Arlo must face his fears—and three impressive T-Rexes—in Disney•Pixar’s “The Good Dinosaur.” Featuring the voices of AJ Buckley, Anna Paquin and Sam Elliott as the T-Rexes, “The Good Dinosaur” opens in theaters nationwide Nov. 25, 2015. ©2015 Disney•Pixar. All Rights Reserved.

De leur rencontre fortuite à leur traversée d’épreuves en passant par le partage de leurs parcours respectifs, cette histoire de deux amis scotche le spectateur sur son fauteuil tant la sincérité qui s’en dégage émeut. A certains moments de l’intrigue l’un apprendra à l’autre à se perfectionner dans ses propres agissements. Et elle atteint une aura culminante à la fin du film, où le spectateur ne peut s’empêcher de rester insensible et de verser une larme. C’est bien là où le bât blesse car si la relation entre Arlo et Spot est on ne peut plus attendrissante, la rencontre avec tous les autres personnages, bien que certains aient été imaginés avec une certaine dose de cocasserie, reste fadasse si l’on fait le bilan. Encore une fois, l’analogie psychologique, comportementale ou simplement scénaristique de certains d’entre eux avec Le Roi Lion laisse à penser que ce film est finalement le petit héritier pixarien du succès des années 1990. Certains seconds rôles tentent malgré tout de percer durant les scènes qui leur sont consacrées, comme la famille T-REX (Butch, Ramsey et Nash), carnassiers éleveurs de bétail. Si l’on omet leur animation quelque peu grotesque et leur doublage caricatural, leur mission n’en reste pas moins salutaire pour servir le périple initiatique d’Arlo et donc l’intrigue finalement assez lisse.

THE GOOD DINOSAUR - Pictured (L-R): Nash, Butch, Spot, Arlo, Ramsey. ©2015 Disney•Pixar. All Rights Reserved.

Que dire par ailleurs du Styracosaure le Collectionneur, hybride totalement raté de Rafiki (Le Roi Lion) et Grand-Mère Feuillage (Pocahontas, Une Légende Indienne), si ce n’est que son intervention ne laissera pas la moindre émotion au spectateur tant son tempérament volontairement dépeint comme dérangé n’en est que plus déroutant pour la compréhension du spectateur. En outre, le duplicata inévitable des Hyènes du (Le) Roi Lion se retrouve non pas dans un mais deux groupuscules de dinosaures : une première fois avec les contrebandiers Ptérodactyles, une autre fois avec les malfrats Vélociraptors, tous plus insipides les uns que les autres, offrant des prétextes assez prévisibles pour faire avancer l’action. Enfin, il est inutile de s’attarder sur le cas de la famille d’Arlo. Si son père retient notre attention, sa mère, son frère et sa sœur, Ida, Buck et Libby auront été traités avec assez de superficialité pour ne pas marquer leur empreinte dans l’esprit du spectateur.

THE GOOD DINOSAUR (L-R) Arlo and Spot. ©2015 Disney•Pixar. All Rights Reserved.

Mais il serait très malhonnête de résumer le film à ses personnages. Car au-delà de son duo de protagonistes aussi attachants qu’originaux (Arlo étant le dinosaure doué de parole, Spot l’humain compagnon à quatre pattes), Le Voyage d’Arlo restera à tout jamais l’une des créations les plus poétiques des Studios d’Animation Pixar. Mûri depuis 2009, le film a eu le temps de trouver son esthétique et sa manière de traiter cette histoire d’amitié. Du western à la comédie pixarienne en passant par certaines scènes épiques ou au contraire d’épouvante (si l’on se met à la place d’un jeune spectateur), ce film rend hommage non seulement au répertoire Disney prolifique des années 1990 mais fait également référence à beaucoup d’œuvres cultes du septième art comme Les Dents de la Mer, de Steven Spielberg, ou s’inspire encore des souvenirs cinématographiques de son réalisateur de western.

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Un rendu visuel bluffant !

Par ailleurs, et c’est là sa deuxième force : le film réalise l’exploit d’élever le niveau d’exigence artistique des Studios tant le rendu visuel des personnages mais surtout des décors naturels est bluffant. Le photoréalisme poussé à son paroxysme transcende l’intégralité de l’environnement dans lequel évoluent nos héros, du simple éboulement de rocher saisissant de réalisme au travail fin des végétaux véritablement vivants et non fixes comme on peut l’observer dans pas mal de films animés. Mais ce qui rend indéniablement le spectacle ultime et donc ce voyage plus immersif que jamais, c’est bien le rendu de l’eau ou des nuages qui impressionne tout le long. On pourra tout de même s’interroger légitimement sur ce pari assumé de la production d’avoir souhaité animer des personnages aux traits certes assez fins mais cartoonesques malgré tout dans des paysages hyper réalistes, se confondant avec la réalité. Mais l’avantage de cette Nature omniprésente dans le film fait tout l’intérêt du récit initiatique d’Arlo, perdu dans l’immensité et la complexité du monde. Pour restituer au mieux ce réalisme, les équipes du film se sont rendues dans des endroits somptueux comme le Parc national de Grand Teton dans le Wyoming, aux reliefs montagneux (ndlr : les trois sommets présents dans le film ne sont pas sans nous rappeler ceux de l’Attraction Expedition Everest à Disney’s Animal Kingdom), aux forêts denses à perte de vue et aux vallées luxuriantes. Cette zone préservée est également réputée pour le rafting dans ses rivières, réadapté dans certaines scènes d’action du film. L’élevage de bison est une autre activité présente dans le film, que les équipes de production ont observé durant leur voyage au Big Sky Country dans le Montana. Enfin, le ciel a fait l’objet de toutes les attentions des artistes du (Le) Voyage d’Arlo : traditionnellement recréé à la main, il a été réimaginé par les décorateurs et les superviseurs en effets visuels avec d’autant plus de réalisme par procédé de 3D volumétrique. Ces masses évoluent au gré de la météo dans le film. Et la valeur ajoutée du (Le) Voyage d’Arlo réside à tous les niveaux de production : les bruitages naturels, la photographie ou le travail autour de la lumière nous font parfois oublier qu’il s’agit d’un simple film d’animation. La nature idyllique nous plonge véritablement dans un documentaire animalier.

THE GOOD DINOSAUR - Pictured: Arlo. ©2015 Disney•Pixar. All Rights Reserved.

Cette magnificence est émotionnellement décuplée quand la musique des frères Jeff et Mychael Danna intervient. Subtile mais pas totalement marquante, elle aborde avec une facilité déconcertante les différents thèmes dramatiques du film et ose même tirer une larme au spectateur à la fin du film, confirmant, si besoin, que ce film est avant tout une concentration de sensibilité pure. Une entrée réussie dans le monde Pixar pour ces compositeurs de talent (L’Odyssée de Pi).

THE GOOD DINOSAUR - Pictured (L-R): Ramsey, Nash. ©2015 Disney•Pixar. All Rights Reserved.

Il va sans dire, s’il souffre indéniablement d’un manque cruel d’originalité, reprenant des recettes usitées par le passé tant chez Pixar, son homologue Disney, qu’Universal (le cultissime  Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles en 1988, co-produit d’ailleurs par Lucasfilm Ltd), Le Voyage d’Arlo n’en reste pas moins un éblouissement de chaque instant et une magnifique ode à l’amitié. Au sommet de son art visuel, Pixar franchit à coup sûr un nouveau palier d’un point de vue technique quand Vice-Versa avait prouvé que l’intelligence scénaristique du studio n’était pas éteinte. Si l’inventivité n’est pas le facteur qui a influencé la production du film, la morale multipliée à toutes les sauces, l’humour très enfantin mais universel et l’émotion palpable en font malgré tout une très belle aventure à vivre en famille, avec son cœur d’enfant. N’en déplaise aux aficionados de Toy Story, le film de Peter Sohn prend un virage clair par rapport au catalogue classique du Studio. Cette prise de position est finalement la bienvenue pour les fêtes de fin d’année, ne reprenant pas les ingrédients du succès de son prédécesseur. Pixar joue sur deux fronts en 2015, et c’est pour le moins très honorable !

THE GOOD DINOSAUR (Pictured) The T-Rexes. ©2015 Disney•Pixar. All Rights Reserved.

Il convient malgré tout de rappeler que Vice-Versa et Le Voyage d’Arlo restent parmi les seuls films originaux que Pixar produit en ce moment (si l’on omet le futur COCO) et que le label de Luxo Junior ne servira de manière très industrialisée à ses spectateurs que des franchises commerciales de son catalogue dans les cinq années à venir. Là aussi, au-delà de l’aveu de faiblesse scénaristique d’Arlo, le manque d’originalité mais surtout d’audace est manifestement devenu la pathologie première des Studios de John Lasseter, quand les Walt Disney Animation Studios vivent depuis La Princesse et la Grenouille un âge d’or historique.

Le mardi 10 novembre 2015, The Walt Disney Company France avait mis les petits plats dans les grands pour célébrer la sortie du (Le) Voyage d’Arlo, 16ème titre du catalogue Disney-Pixar. En ce jour du « Dinovembre« , la capitale française avait l’honneur de recevoir deux membres de l’équipe de production du film d’animation, Peter Sohn, son réalisateur et Denise Ream, sa productrice principale. Alors que cette nouvelle oeuvre des Studios de John Lasseter a été dévoilé en avant-première mondiale le matin même au Cinéma Publicis sur les Champs-Elysées, mais également le soir en avant-première mondiale et publique au Grand Rex, rebaptisé pour l’occasion T-REX, Radio Disney Club et quelques-uns de ses confrères de la blogosphère Disney francophone ont eu la chance de s’entretenir plus d’une demi-heure avec Peter Sohn et Denise Ream à l’Hôtel Mandarin (Rue Saint-Honoré) venus promouvoir et présenter Le Voyage d’Arlo, un film parfaitement adapté pour les fêtes de fin d’année.

rencontre avec Peter Sohn et Denise Ream

Peter Sohn est natif du Bronx new-yorkais. D’origine coréenne, il se passionne comme nombre de ses homologues très tôt pour le domaine de l’animation et passe sans mal ses dernières années de formation universitaire à la California Institute of the Arts. Ce jeune animateur de vingt ans est alors très vite repéré par Brad Bird, qui lui confie pour ses stages d’été quelques missions comme animateur additionnel sur Le Géant de Fer (1999). En 2001, toujours chez  Warner Bros. Feature Animation, il poursuit sa carrière d’animateur sur Osmosis Jones, de Peter et Bobby Farrelly. C’est durant l’année 2002 qu’il intègre le plus emblématique des studios d’animation en images de synthèse, Pixar. Il se spécialise ainsi en story-boarding sur Le Monde de Nemo (2003). Les Indestructibles (2004) lui permettent de retrouver Brad Bird. Outre son travail de story-boarding, il y animera également quelques séquences et prêtera sa voix pour quelques personnages secondaires. En 2005, le cartoon L’Homme-Orchestre de Mark Andrews et Andrew Jimenezest l’occasion pour lui de parfaire son expérience à une échelle de moindre importance chez Pixar. Il se plait manifestement dans ce studio, qui lui confie à nouveau en 2007 des missions de story-boardeur et animateur sur Ratatouille et son cartoon dérivé Notre Ami le Rat. Il se distinguera dans ces films également en doublant en version originale un personnage plus important que les précédents, celui d’Emile, le frère de Rémy. Wall-E (2008), Là-Haut (2009) ou encore Toy Story 3 (2010) exploiteront encore ses talents de story-boardeur. Parallèlement, Peter Sohn collabore avec John Lasseter et Brad Lewis pour adapter en version anglaise le film d’animation Ponyo sur la Falaise, réalisé par Hayao Miyazaki et produit par ses studiosGhibli, que la maison de Mickey co-distribuera sur le sol américain. Sa véritable première réalisation survient en 2009 toujours sur le cartoon Passages Nuageux. Peter Sohn fait ses preuves et est engagé aux côtés de Bob Peterson pour réfléchir sur Le Voyage d’Arlo. Entre temps, quelques doublages de second plan occupent son temps libre comme la voix de Russell dans le cartoon George et A.J. (2009), celle de Thierry Sélectif dans Mini-Buzz de la série des Toy Story Toons (2011) ou encore celle de Squishy dans Monstres Academy (2013).

Denise Ream est un véritable pilier de la production hollywoodienne. Spécialiste de la production d’effets visuels et d’animation en prises de vues réelles, elle fut longtemps une productrice incontournable au sein de Industrial Light & Magic (13 ans de collaboration), filiale appartenant à Lucasfilm Ltd, entité de la maison de Mickey. Elle a ainsi supervisé la production de nombreux hits du septième art américain : Men in Black (1997), Harry Potter à l’Ecole des Sorciers (2001), Star Wars : La Revanche des Siths (2005), dans lequel elle apparaît également en caméo en tant qu’ambassadrice de Kuat, Onara Kuat au sein de l’Assemblée Galactique du Sénat de la République. Elle débute sa carrière chez Pixar en 2006 en tant que productrice associée sur Là-Haut. Elle rejoint John Lasseter sur Cars 2 en 2011. Un personnage lui rend d’ailleurs hommage dans le film, Denise Beam, une Nissan Figaro supportrice de Carla Veloso, dont l’immatriculation n’est autre que la date de naissance de la productrice (« 0926 D.REAM »). En 2013, elle devient productrice principale sur Le Voyage d’Arlo et fait la transition entre les travaux de Bob Peterson et ceux de Peter Sohn, devenu le seul réalisateur à la barre du projet.

[Presse] Comment se sont orientées vos recherches sur le monde des dinosaures ? Était-ce un gros challenge ?

[Peter Sohn] Il est vrai que dès le départ, on s’est d’abord penché sur la nature animale des dinosaures. On a visité pas mal de musées, on a parlé des paléontologues etc. On a surtout réfléchi sur la structure même d’un animal, à son mode de vie. Mais dans notre film évidemment, il y avait un autre aspect qui était celui la Nature. On avait par ailleurs très envie d’incorporer dans ce film le thème de la frontière de l’Ouest. Quand nous sommes partis réaliser nos travaux de recherche, que nous avons rencontrer des fermiers travaillant dans des ranchs par exemple, ce voyage a eu une influence fondamentale sur la couleur de notre film. Nous voulions sortir quelque-chose de très différent. Très souvent dans les films de dinosaures, on retrouve finalement des créatures assez monstrueuses, qui s’agressent, bref beaucoup de situations violentes. Mais ici, nous voulions montrer que le véritable protagoniste en tant qu’adversaire, c’était la Nature elle-même.

[Denise Ream] Durant ces voyages d’exploration, on a pris beaucoup de plaisir à la fois à faire du rafting [mais on en reparlera], à évidemment faire des chevauchées à cheval, à rencontrer ces fameux ranchers, qui sont devenus en quelque sorte des modèles pour nos T-REXs. Bon, évidemment, il y avait un côté un peu dangereux dans tout ça, parce que moi-même, lorsque j’ai fait du rafting sur la rivière, je suis tombé et me suis fait mal sur un rocher. J’ai trouvé intéressant le lien entre la beauté de la Nature et cet aspect toujours dangereux.

[P. S.] Il faut dire que j’ai grandi à New York dans le Bronx. Donc, je n’étais jamais allé vraiment dans l’Amérique profonde, dans la Nature vraiment sauvage. C’est vrai qu’au début, j’avais un peu peur et je trouvais en même temps que tout était splendide. Cette dualité permanente dans le film entre ce qui est beau mais finalement ce qui peut être mortel est née de ce voyage de recherche.

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