Inner Workings : rencontre avec Leo Matsuda et Sean Lurie au Festival d’Annecy

Publié par Victoria Richard le 21 juin 2016 | Maj le 4 juin 2017

court métrage Inner Workings

Le vendredi 17 juin 2016 se tenait la présentation en avant-première mondiale du court-métrage animé Inner Workings à la 39ème édition du prestigieux Festival International du Film d’Animation d’Annecy. Ce cartoon a été produit en vue d’une diffusion en première partie du Grand Classique Disney de Noël 2016, Vaiana : La Légende du Bout du Monde ou Moana pour les anglophones. Radio Disney Club a eu le privilège de rencontrer l’équipe créatrice de ce film, le réalisateur Leo Matsuda et le producteur Sean Lurie, juste après la projection du film.

Annecy 2016 01

Inner Workings raconte l’histoire du combat intérieur que se livrent chez un homme le Cerveau, protecteur pragmatique qui calcule le moindre mouvement, et le Cœur, aventurier qui rêve d’une liberté sans limite. Créé par une petite équipe des Studios d’Animation Walt Disney, ce court-métrage au style unique, vif et rapide, mêle images de synthèse et animation traditionnelle à la main pour se pencher sur l’importance de trouver son équilibre dans la vie de tous les jours.

Leo Matsuda Sean Lurie Annecy 2016

Leo Matsuda : artiste dichotomique

Leo Matsuda est né en 1982 à Sao Paulo au Brésil où il y a passé sa plus tendre enfance. Après avoir étudié le design industriel à l’Université Mackenzie à Sao Paulo, il est parti se former à Los Angeles dans l’art de l’animation cinématographique de personnages à la California Institute of the Arts de Valencia dans la banlieue californienne de la ville. Dessinateur émérite, son travail est riche de sens et de symboliques et transparaît à travers une oeuvre personnelle et hétéroclite. Comme il aime à le répéter souvent, son côté japonais est « très discipliné » mais il doit « aussi à son côté brésilien toute sa joie festive ». Le jeune artiste ainsi formé a commencé à pratiquer en stagiaire du côté d’Emeryville chez Pixar.

Leo Matsuda

Leo Matsuda

Il signe ses premiers travaux pour les besoins des (Les) Simpson, Le Film en 2007 ou encore au sein des Blue Sky Studios dans lesquels il a officié au ‘character layout’ du film Rio. Son travail reconnu lui permet de rejoindre en 2008 les Studios d’Animation Walt Disney. Tout d’abord engagé en tant qu’animateur sur La Princesse et la Grenouille, il finit par intégrer les équipes de storyboarding des (Les) Mondes de Ralph puis Les Nouveaux Héros et enfin Zootopie. Il est d’ailleurs nommé en 2012 dans la catégorie du Meilleur Storyboarding pour un Film d’Animation pour la 40ème cérémonie des Annie Awards, aux côtés de sa collègue Lissa Treiman. Cette confiance avec les dirigeants du studio lui offre la voie de sa toute première réalisation avec le cartoon Disney Inner Workings. En effet, Leo Matsuda fait partie des 73 espoirs artistiques qui ont proposé leurs idées créatives aux Studios d’Animation Walt Disney pour Noël 2016. Ce groupe a été réduit à quatre et c’est finalement Matsuda qui a été choisi pour diriger ce nouveau film. Sur la toile, on le connaît également pour ses œuvres personnelles de caricature et de bandes dessinées sur son blog et son portfolio.

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Leo Matsuda Sean Lurie Annecy 2016 01

Sean Lurie, producteur à la « pixie dust »

Sean Lurie est né à Burbank en Californie, à quelques encablures des studios Disney où son grand-père a travaillé dans les départements de postproduction durant les années 1930-40. Ayant grandi à Malibu et Burbank, Sean Lurie a rejoint la branche cinématographique de Disney en 2006 en tant que producteur au sein de la filiale DisneyToon Studios. Il collabore tout d’abord au film Clochette et la Pierre de Lune, deuxième volet de la franchise animée, avant d’être promu vice-président de la production du studio en 2010. Sous la direction artistique de John Lasseter, il a supervisé la production des films des sagas animées Planes et Clochette. Lurie est muté au sein des Studios d’Animation Walt Disney en 2014 au poste de vice-président du développement. Il supervise ainsi la direction que prend le studio pour ses prochains hits animés : Les Nouveaux Héros en 2014, puis Zootopie et Vaiana : La Légende du Bout du Monde en 2016.

Sean Lury

Sean Lurie

Sean Lurie soutient également les jeunes artistes de par sa position stratégique au sein des studios Disney. Il signe ainsi pour produire le projet de Leo Matsuda Inner Workings qui sort en 2016, convaincu du potentiel immense de l’artiste :

« Les nuances de créativité de Leo Matsuda et le style de narration rares sont ce qui rend ce court si spécial », a déclaré Lurie. « Le cartoon trouve des procédés très ingénieux pour montrer l’importance de prendre des risques et de prendre le temps de profiter de la vie. Il est joyeux. Voilà pourquoi j’aime ce sujet. »

Avant d’arriver chez Disney, Lurie a travaillé en tant que producteur management pour Amblin Entertainments, notamment pour l’emblématique long-métrage Les Quatre Dinosaures et le Cirque Magique sorti en 1993. Il rejoint par la suite Klasky Csupo, une société de production d’animation qui a travaillé pour le compte des studios Nickelodeon Movies et Paramount Pictures. Il est attaché à plusieurs projets en tant que producteur ou producteur exécutif : Les Razmoket, le Film (1998), Les Razmoket à Paris, le Film (2000) ou encore La Famille Delajungle, le Film (2003). Ses débuts dans le monde de l’industrie de l’animation remontent à 1990 où il est engagé comme décorateur sur la série d’animation Attack of the Killer Tomatoes, basée sur l’univers des films animés sortis quelques années plus tôt, co-produite par Marvel Animation et diffusée aux Etats-Unis sur Fox Kids.

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Entretien avec Leo Matsuda et Sean Lury

[Presse] Leo, pouvez-vous commencer par nous dire quelle a été votre source d’inspiration pour ce court-métrage ?

[Leo Matsuda] Bien sûr. Depuis longtemps, je suis passionné de lecture. Je me rappelle avoir lu plusieurs tomes de l’Encyclopedia Britannica dont un qui parlait de biologie. Je suis fasciné par l’étude du corps humain et toutes les théories sur l’anatomie qui montrent comment le corps fonctionne, cela me passionne vraiment. Toutes ces lectures m’ont influencé pour la réalisation de mon court-métrage.

Il y a également le fait que je possède une double culture puisque je suis japonais et brésilien. J’ai grandi dans ces deux cultures qui sont, comme vous le savez, complètement opposées. Je dirais que mon côté japonais est plus logique, discipliné, tandis que mon côté brésilien aime le carnaval, les fêtes… Cela a vraiment influencé mon travail.

[Presse] Pourquoi avez-vous choisi de vous focaliser plus particulièrement sur le cerveau et le cœur ?

[Leo Matsuda] C’est une question intéressante. Lorsque j’ai commencé à travailler sur le projet Inner Workings, j’avais comme idée de parler en réalité du corps entier. Mais je devais réaliser un court-métrage, et donc, j’ai du être plus concis et me focaliser sur les éléments essentiels. Nous voulions que l’histoire soit la plus claire possible, c’est pourquoi nous avons choisi de nous focaliser sur le cerveau en premier lieu et sur le cœur, qui est en fait le support du personnage, ce qui le soutient.

[Sean Lurie] Lorsque nous avons commencé à travailler sur le projet, l’équipe et moi-même, nous n’imaginions pas le cerveau comme le principal protagoniste. Je disais toujours à Léo : « Non, c’est le cœur, le cerveau est l’antagoniste ». Et Leo m’a naturellement convaincu en m’affirmant que le cerveau est le personnage principal parce que c’est lui qui est amené à évoluer, à grandir, à apprendre de nouvelles choses, et non le cœur. L’être humain doit apprendre à dépasser ses peurs et ses craintes. Il doit aussi s’autoriser à expérimenter les joies de la vie. Inner Workings ne traite pas juste du cerveau et du cœur, l’histoire est bien plus profonde que cela, et il y a beaucoup de choses à dire. Nous avons donc dû simplifier les choses car il y avait la contrainte du temps. Nous étions censés faire un court-métrage de 5 minutes et celui-ci dure au final un peu plus de 6 minutes. Vraiment parce que pour lui, le cerveau est celui qui doit le plus évoluer et se développer.

[Presse] De toute évidence, la prochaine étape serait la réalisation d’un long-métrage. Est-ce que vous avez cette envie et avez-vous déjà peut-être quelques idées à ce sujet ?

[Leo Matsuda] Oui, j’aimerais beaucoup réaliser un long-métrage. C’est certain, je souhaite continuer ce métier de réalisateur, que j’adore. Disons que pour l’instant, j’ai quelques idées, plutôt à propos d’histoires personnelles…

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[Presse] Comment avez-vous travaillé sur la partie artistique de ce court-métrage ? Comment avez-vous conçu le personnage et les organes ?

[Leo Matsuda] C’était un gros challenge. Nous avons essayé de créer quelque chose d’attrayant au niveau du style. Nous voulions vraiment que les éléments ressemblent à de vrais organes pour que cela soit crédible pour le public, tout en faisant en sorte que cela reste séduisant visuellement.

[Sean Lurie] Nous nous sommes basés sur les dessins originaux de Leo, qui étaient très riches et avec une grande sensibilité artistique, pour réaliser ensuite le film. C’était une manière très originale de concevoir le design des personnages. Je pense qu’au bout du compte, nous avons bien réussi à représenter ces éléments.

[Presse] Leo, vous avez un blog où vous partagez des histoires sur votre vie personnelle, votre épouse, les écureuils même… Ce court-métrage ne serait-il pas un prolongement de ce site ?

[Sean Lurie] : Tu ne m’en as jamais parlé ! [Rires]

[Leo Matsuda] C’est une question intéressante. Je pense que ce n’est pas délibéré mais oui, on peut voir ce court-métrage comme un prolongement de ma vie personnelle même si l’histoire d’Inner Workings parle plutôt du fonctionnement des organes. Paul est le cadre et le cerveau et le cœur, les acteurs principaux. Mais oui, c’est une très bonne observation.

[Sean Lurie] Leo ne pensait pas que son travail donnerait ce résultat-là. Nous l’avons vraiment encouragé à développer ses idées, et ce qui est absolument génial avec Leo, c’est qu’il croit vraiment en ses idées et ses convictions. A Disney, nous encourageons toujours les créateurs qui sont très impliqués dans ce qu’ils font, qui ont des idées très personnelles et qui veulent dire quelque chose qui leur tienne particulièrement à cœur. Je pense que cela ne peut que rendre une histoire meilleure. Il y a beaucoup d’humour dans ce court-métrage… quand le personnage se réveille et qu’il va nager par exemple.

[Leo Matsuda] Un moment donné, Paul est de dos et sa vessie est l’enjeu de cette scène. Elle n’est pas très éclairante mais nous voulions que le public comprenne le propos. Après, même si je suis le réalisateur du film, il y a également beaucoup de personnes très douées qui ont travaillé sur ce projet et qui m’ont soutenu. Dans le monde de l’animation, c’est un processus très collectif.

1577_radiant_1920x1080-62956[Presse] Est-ce que vous vouliez intégrer d’autres organes ? Lesquels ?

[Leo Matsuda] Oui, je voulais représenter la peau, les muscles, comme dans les encyclopédies.

[Sean Lurie] On a une vision très rapide dans le film d’un muscle de la jambe par exemple. Leo a voulu aussi représenter les réactions corporelles lorsque le personnage a un haut-le-cœur à plusieurs reprises. Le projet initial apporté par Leo durait au départ 20 minutes donc nous avons dû beaucoup le raccourcir.

[Presse] Paul est très triste, il vit dans une rue quadrillée, son cerveau est lui-même quadrillé… Peut-on dire que, derrière ce court-métrage très drôle, il y a une leçon de vie ?

[Leo Matsuda] Oui, absolument. C’est ce que j’ai voulu transmettre à travers ce court-métrage. Paul est triste parce que son cerveau a peur. Peur de tout ce qui va au-delà de la logique. Il s’empêche tout simplement d’expérimenter la vie et d’essayer des choses qui pourraient lui apporter du bonheur. Mais en même temps, ce cartoon souhaite démontrer le contraire. C’est le propos de mon histoire. Beaucoup de personnes dans la vraie vie sont comme Paul et font un travail qui ne leur plaît pas. Donc oui, c’est une histoire d’équilibre entre le cœur et le cerveau mais c’est aussi plus profond que cela. Il y a une grande part d’espoir dans Inner Workings. Même si l’on fait un travail qui ne nous plaît pas et que l’on vit dans un endroit misérable, on peut malgré tout trouver le bonheur. Je suis content que vous ayez posé cette question.

[Sean Lurie] Vous savez, il y a un passage où Paul veut parler à une fille mais il ne le fait pas. Il est tellement gêné qu’il croit mourir. Je pense que ce film peut parler à beaucoup de monde. Nous devons tous apprendre dans nos vies à surmonter nos peurs. Il y a donc un message très profond dans ce film.

[Leo Matsuda] C’est un film très intime. Tout se passe à l’intérieur, c’est un combat personnel, c’est pour cela que je pense que le titre Inner Workings fonctionne bien. La raison pour laquelle Paul n’est pas heureux est qu’il y a un déséquilibre entre sa vie intérieure et sa vie extérieure. Une fois que l’équilibre est rétabli, on le voit commencer à changer, sa vie intérieure équilibrée a ensuite des répercussions sur sa vie extérieure.

[Sean Lurie] Ce qui fait la puissance et la profondeur de ce film, et je ne dis pas cela parce que je suis le producteur, vient aussi du fait qu’il est ancré dans la réalité. Les personnes insatisfaites dans leur vie professionnelle n’ont pas toutes le luxe de pouvoir abandonner leur travail du jour au lendemain et doivent faire face aux circonstances de la vie. Dans beaucoup d’histoires, on voit le personnage tout quitter pour à la fin vivre de ses rêves, mais ce n’est pas la réalité pour la plupart d’entre nous. Donc, il y a quelque chose de très réel dans ce film. On peut être heureux mais tout en gardant ses responsabilités. Paul retourne à son travail en étant rempli de joie.

[Presse] Quand on voit Inner Workings, on ne peut s’empêcher de penser à Vice-Versa (Inside Out) même si ce film traite plutôt des émotions et vous du corps, il y a cette même idée de conflit intérieur… Avez-vous modifié votre projet après avoir vu Vice-Versa ?

[Leo Matsuda] Les réalisateurs de Vice-Versa ont fait un très bon travail, j’en suis fan. Nous travaillions en même temps déjà sur Inner Workings donc je ne pense pas que le film ait pu m’influencer de quelque façon que ce soit. Mon court-métrage est basé sur ma vie personnelle, ma double culture, mes lectures encyclopédiques… Donc, même s’il peut y avoir quelques similarités entre les deux films, je pense qu’ils sont tous les deux très différents.

Le réalisateur Léo Matsuda

Le réalisateur Léo Matsuda et le producteur Sean Lurie saluent les lecteurs de Radio Disney Club au Festival International du Film d’Animation d’Annecy.

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