Critique : Comment Bambi a tué le chasseur ?

Publié par Camille Esteve le 31 mai 2023 | Maj le 31 mai 2023

Nombreux sont ceux et celles qui ont pleuré – et pleurent encore – devant la mort de la mère de Bambi. Et si ce dessin-animé, et plus généralement l’œuvre de Walt Disney, renfermait différents messages sur la nature et l’écologie ? Dans le livre Comment Bambi a tué le chasseur ?, l’auteur, Damien Bridonneau, propose son analyse d’une vingtaine de classiques Disney et Pixar à travers le prisme philosophique. Qu’en avons-nous pensé ?

Fiche technique de l’essai Comment Bambi a tué le chasseur ?

  • Titre : Comment Bambi a tué le chasseur ? La Philosophie écologique selon Walt Disney
  • Auteur : Damien Bridonneau
  • Maison d’édition : Les éditions de l’Opportun
  • Prix : 15,90 euros

Résumé du livre

« Le Roi Lion, Pocahontas, Frère des Ours, Bambi, Dumbo, Tarzan, La Belle et le Clochard, Coco, Les 101 Dalmatiens, Soul, Le Livre de la Jungle, Les Aristochats, Oliver et Compagnie, Là-Haut, Rox et Rouky, La Ferme se rebelle, The Wild ou encore Vaiana : ces classiques de l’animation font rêver petits et grands, génération après génération. Mais, loin d’être de simples contes de fée, ces dessins animés mythiques nous invitent à nous questionner sur notre rapport à la Nature, à l’animal et à notre place sur Terre.

Walt Disney était un génie visionnaire, et ses successeurs s’inscrivent dans sa lignée. Derrière la simple distraction enfantine de leurs chefs-d’œuvre indémodables, se cachent des messages essentiels : le cycle de la vie cher à Mufasa, l’état de nature auquel sont renvoyés Mowgli et Tarzan, le déracinement et l’enracinement écologique dans Là-Haut, l’écologie de la domestication animale dans La Belle et le Clochard et Les 101 Dalmatiens… Damien Bridonneau analyse vos films d’animation préférés sous l’angle de la philosophie écologique. Une lecture passionnante ! »

Couverture du livre DR

Un chapitre = un film dans Comment Bambi a tué le chasseur ?

Ce n’est pas la première fois que l’œuvre de Disney sert de support pour un propos philosophique. Nous avions eu, il y a quelques années, l’occasion de vous présenter l’excellent livre de Marianne Chaillan : Ils vécurent philosophes et firent beaucoup d’heureux.

Aussi, à l’heure où nous devons faire face au changement climatique et ses conséquences, parler d’écologie et de philosophie grâce à nos films d’animation préférés est une bonne idée. Et le livre de Damien Bridonneau démontre clairement que les messages véhiculés par Disney ne se limitent pas à WALL-E.

La structure est simple : chaque chapitre se concentre sur un film (parfois deux) en particulier et, par extension, une idée. S’entremêlent ensuite réflexions poussées de l’auteur, références littéraires et philosophiques variées et pertinentes, zooms sur certains concepts pour mieux saisir le propos et souvenirs personnels.

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Ce point constitue néanmoins un double écueil : d’une part, l’on peut facilement se perdre dans la démonstration, car les idées s’enchaînent rapidement et peuvent parfois manquer de cohésion.

Ensuite, l’utilisation d’expériences personnelles (ou familiales) à des fins d’argumentation peuvent également gêner si l’on s’attend à lire une œuvre purement philosophique.

Damien Bridonneau affirme parfois plus qu’il ne questionne, et le meilleur exemple se trouve dans le chapitre le plus long, qui a d’ailleurs donné son nom à l’ouvrage : celui consacré à Bambi et, plus globalement à notre rapport à la chasse.

Point négatif : un manque de nuance

Le sujet est aujourd’hui plus que sensible et nous devons toutefois souligner le courage de l’auteur en abordant cette question qui fait couler beaucoup d’encre. Le problème ici est que le chapitre – et plus généralement le livre – tend à manquer de nuance et de contrepoint.

Après quelques recherches, il s’avère que l’auteur a grandi en milieu rural et semble issu d’une culture familiale « pro-chasse ». Et cela se ressent dans ses arguments, qui ne donnent lieu à aucune contre-argumentation et qui peuvent donner au lecteur l’envie de répondre… dans le vide, surtout si l’on est dans le camp des « urbains anti-chasse ».

Par exemple, Damien Bridonneau veut pousser le curseur de l’absurde par cette démonstration : « Nous pouvons créer un droit à la vie pour tous les animaux, élaborer un Code de la chasse pour les animaux et interdire à notre chat de chasser les souris. Interdisons aussi, dans ce cas, aux poules de manger des insectes. Pourquoi l’Homme, seulement lui, ne devrait-il plus chasser ? Parce qu’il n’en a pas besoin ? Mais il n’en a pas besoin car il domine tout et a tout chassé. »

Le parallèle pose problème, car l’Homme se différencie justement du reste du règne animal par sa capacité – que l’on peut déplorer ou glorifier – à utiliser le progrès technique pour faciliter ses actions. Mettre sur le même plan une poule qui ne peut compter que sur la force de ses pattes et de ses ailes et sur l’agilité de son bec pour attraper un ver de terre et un chasseur qui dispose de pièges et d’armes à feu pour capturer et tuer plus facilement ses proies (ce qui n’est donc pas si naturel que cela) n’est pas pertinent.

De même, l’auteur ose ce paragraphe : « Le chasseur qui va aux pigeons ou aux canards et en fera son repas […] sera qualifié de « facho », de « barbare », par l’être urbain. A ce propos, il est d’ailleurs ironique de penser que les chasseurs sont des « fachos » lorsque l’on rappelle que la chasse à courre a été abolie en Allemagne en l’année 1934 par… les nazis. » Quel est le but de cette démonstration ? Outre le fait que tous les anti-chasse n’abusent pas du terme « facho » pour désigner les chasseurs, la chasse à courre gagne-t-elle en noblesse ou en légitimité sous prétexte qu’un régime totalitaire l’a abolie ? A noter d’ailleurs qu’elle a par la suite été réintroduite en Allemagne, avant d’y être définitivement interdite en 1952, donc après la Seconde Guerre mondiale. L’argument, malheureusement, est du même ordre que celui utilisé par ceux qui souhaitent décrédibiliser le végétarisme en rappelant qu’Adolf Hitler ne mangeait ni viande, ni poisson.

Derniers exemples que l’on voudrait contredire et qui ne sont jamais contrebalancés : d’une part, le chasseur est représenté comme un bon régulateur de la nature. Or, en novembre 2021, Willy Schraen, patron de la Fédération nationale des chasseurs, avait lui-même pleinement admis qu’il n’en avait « rien à f*utre de réguler ». La Fédération décrit d’ailleurs la chasse en ces termes : « loisir, art de vivre, passion dévorante, sport, espace de liberté, héritage familial », bien éloignés, donc, de la volonté de régulation.

D’autre part, l’auteur, dans son chapitre consacré à Rox et Rouky, déplore qu’Amos Slade soit « caricaturé » et « présenté comme un chaud de la gâchette qui tire sur tout ce qui bouge sans savoir viser. […] Le chasseur est décrit ici comme un homme sans limites – ce qui est heureusement rare dans la vraie vie puisque le permis de chasse et la validation ne sont pas délivrés en un claquement de doigts. » Or, d’après les données de l’Office Français de la Biodiversité (OFB), en France, si les accidents de chasse (mortels ou non) sont en baisse depuis quelques années, ils restent principalement dus au non-respect des règles de sécurité. Les incidents de chasse, pour leur part, sont en augmentation. A défaut d’être délivré en un claquement de doigts, l’on peut tout de même s’interroger sur l’efficacité de l’examen. De même, l’interdiction de consommer de l’alcool lors de la pratique de la chasse n’a été votée qu’en septembre dernier et a suscité beaucoup de réactions contestataires parmi la communauté de chasseurs.

Bien entendu, le livre ne se limite pas à ces seuls chapitres, mais ils illustrent le principal écueil de l’œuvre : l’absence de nuance et de contrepoint.

Il est même ironique de constater que l’auteur déplore – à juste titre – les stéréotypes véhiculés sur les chasseurs et les ruraux quand il use d’autres stéréotypes pour qualifier les anti-chasse et les urbains. Non, tous les anti-chasse ne sont pas nécessairement antispécistes (généralement caricaturés en extrémistes incapables de réfléchir à la logique ou à la pertinence de leurs combats). De même, contrairement à ce qui est affirmé, le dessin animé Bambi (1942) n’est pas le coupable tout trouvé pour expliquer la naissance des mouvements anti-chasse (même si, bien entendu, il ne plaide pas la cause des chasseurs). Pour paraphraser l’auteur : « tout est une question d’équilibre. » Or, pour ces deux gros chapitres, et pour quelques-autres, l’équilibre manque et Damien Bridonneau affirme plus qu’il ne questionne, ce qui peut déstabiliser le lecteur qui ne cherchait pas à lire une tribune pro-chasse.

Point positif : une invitation à la réflexion sur notre rapport à la nature

Au-delà de cet aspect négatif, nous devons tout de même souligner et féliciter la diversité des sujets abordés. Si la chasse est très largement évoquée, d’autres thèmes, plus ou moins clivants trouvent aussi leur place dans le livre : la civilisation, le rapport (biaisé) de l’Homme à la nature, notre rapport à la mort, ou encore la domestication animale.

Et l’on découvre ainsi que les films d’animation Disney renferment peut-être encore plus de messages qu’on ne le pensait de prime abord.

Aussi, si l’on résiste à la tentation de fermer les yeux sur certains sujets qui déséquilibrent nos conceptions habituelles de la vie, et si l’on s’abstient de toute mauvaise foi en cas de désaccord avec l’auteur, nombreux sont les points qui peuvent au moins nous inciter à réfléchir et à, potentiellement, changer notre regard sur la nature.

Un point qui est d’ailleurs très intéressant – et qui, paradoxalement, provient également du chapitre consacré à Bambi – est le rappel de ce qu’est la nature en elle-même. La nature est sauvage et violente, bien éloignée de ce que les Hommes, l’urbanisation et le progrès en ont fait en l’asservissant.

De même, les chapitres consacrés à La Belle et le Clochard et à Oliver et Compagnie, où l’auteur s’intéresse au célèbre Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau, se révèlent pertinents et apportent une autre dimension aux films et à leurs personnages (en acceptant l’idée qu’il puisse s’agir d’une surinterprétation).

En conclusion : le bilan de cette lecture reste quelque peu mitigé. Mais cela est lié en grande partie à l’image que l’on se fait du livre avant de le lire. Présenté comme une œuvre philosophique, Comment Bambi a tué le chasseur s’apparente davantage à un essai d’opinion.

De ce fait, il convient dès le départ de prendre un certain recul – et ce, quelles que soient nos opinions – pour être en mesure de réfléchir aux questions soulevées et se faire son propre avis, sans absorber intégralement les arguments de l’auteur et sans non plus tomber dans la mauvaise foi et tout rejeter en bloc. Encore une fois, « tout est une question d’équilibre. »

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