Discoveryland, analyse d’une crise d’identité (1/4) – le futur à l’heure européenne

Publié par Alexis Richard le 2 février 2017 | Maj le 14 avril 2018

En 2017, Discoveryland connaîtra deux nouveautés : Star Tours – l’Aventure Continue, avec pas moins de 70 nouveaux voyages à travers une galaxie très, très lointaine, et la rethématisation définitive de Space Mountain pour Hyperspace Mountain, aussi sur le thème de Star Wars. Cette nouvelle thématisation de Space Mountain marque une étape supplémentaire dans l’histoire de Discoveryland, tout en témoignant une nouvelle fois de la crise d’identité dont souffre le land depuis sa conception pourtant ambitieuse.

Disneyland Paris, une conception pro-européenne

Pour comprendre cette crise d’identité, il faut remonter à la conception du land et celle du parc. Comparée à ses homologues étrangers, la conception originale de Disneyland Paris a fait l’objet d’une attention toute particulière et d’un sens du détail bien affûté, notamment sous prétexte de satisfaire une clientèle européenne réputée plus exigeante. Pour quatre des cinq lands qui divisent le parc, les Imaginieurs se sont basés sur les concepts originaux de Main Street, U.S.A., Frontierland, Adventureland et Fantasyland, tout en les adaptant ingénieusement et de façon unique à l’Europe, car en plus du soucis de la satisfaction de la clientèle européenne, au moment de la conception d’Eurodisney, les politiques de la fin des années 80 se focalisent sur l’Union Européenne.

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C’est entre autre à cet égard que les accords entre les autorités françaises et The Walt Disney Company, spécifiaient qu’Eurodisney devait valoriser les cultures française et européenne.

La convention de 1987 entre The Walt Disney Company et l’Etat Français

Il en sera fait ainsi, puisque chaque land fait le pont entre son concept original américain et l’Europe, son histoire ou son patrimoine. À Main Street, U.S.A., par exemple, Liberty Arcade (le concept des arcades sur Main Street, U.S.A. étant déjà une nouveauté pour un parc Disney) rend hommage au lien qui unit les États-Unis et la France à travers la statue de la Liberté, de conception française. Frontierland s’inspire de l’époque de la ruée vers l’or, au cœur de l’histoire de la ville de Thunder Mesa, où des milliers d’Européens quittaient l’Ancien Monde dans l’espoir de devenir riche dans l’Ouest américain. Adventureland est une invitation à l’exotisme et à l’aventure à travers le passé colonialiste de l’Europe, de la fin du XIXe au début du XXe siècle en Afrique du Nord et au sud de l’Asie. Enfin, Fantasyland représente l’Europe des contes de fées représentée par sa disposition géographique rendant hommage à la France (Château de la Belle au Bois Dormant, Auberge de Cendrillon), l’Allemagne (Blanche-Neige, Pinocchio), l’Angleterre après avoir traversé la rivière de Fantaysland représentant la Manche (Peter Pan, Toad Hall, Alice au Pays des Merveilles), le Benelux (le Vieux Moulin, le Pays des Contes de Fées et Casey Jr.) et l’Italie (Fantasia Gelati, Bella Notte).

Hommage aux visionnaires européens

Plus encore que pour les quatre premiers lands, le concept de Discoveryland sera plus abouti. La conception du land sera confiée à Tim Delaney qui en sera le directeur artistique, avec un sens aigu de l’esthétique et dont la thématique du futur l’inspire particulièrement, puisque c’est à lui déjà qu’on devait un projet de tours futuristes pour remplacer le Château de la Belle au Bois Dormant. Avec son équipe d’Imaginieurs, il arrivera pour le parc européen à un concept à la fois nouveau, exclusif et ingénieux. L’idée de départ de ce cinquième land est la même que pour les autres parcs Disney, où il s’appelle Tomorrowland, à savoir le futur. Mais il est délicat de concevoir un land sur cette thématique, car la façon de l’imaginer est constamment en mouvement et évolue dans le temps, c’est le cas notamment des parcs Disney américains où la façon de voir le futur, à l’époque de leur ouverture, n’est plus celle d’aujourd’hui, amenant à une certaine idée désuète des conceptions précédentes et nécessitant des adaptations régulières. Une problématique qui ne se pose pas avec les autres lands, ancrés dans le passé.

Les équipes d’Imaginieurs de Disneyland Paris se débarrasseront de cette problématique en imaginant un land rétrofuturiste, qui serait une vision de l’avenir vu du passé. Un futur imaginé par les grands visionnaires principalement du XIXe siècle, époque de la naissance de la science-fiction. Ainsi, la vision de Discoveryland serait difficilement démodable dans un style bien connu aujourd’hui, le steampunk. C’est donc un nouvel hommage à l’Europe que fera Discoveryland en honorant les visionnaires européens, comme Léonard De Vinci, Jules Verne ou H. G. Wells.

Discovery Arcade, sur le chemin de Discoveryland

Pour  connaître en détail les racines de cette thématisation de Discoveryland, il faut en fait partir de Main Street, U.S.A. Cette petite ville de la fin du XIXe siècle, déjà témoin des changements et révolutions de son temps (train, téléphone, …), où, à partir de la droite de Town Square, où se trouvait auparavant Town Square Photography, vibrant hommage à l’invention de la photographie, il est possible de s’engager dans Discovery Arcade. Là, différentes vitrines remémorent, à travers des miniatures et dessins, les inventions et recherches d’innovations du XIXe siècle. Les 52 maquettes qui y sont exposées sont authentiques et ont été récupérées dans une collection américaine privée, provenant à l’origine du Bureau Américain des Patentes. De premières références à Discoveryland sont faites dans l’arcade avec les « hommes de Vitruve » de Léonard de Vinci qui ornent le haut des colonnes de fer forgé, ou encore une maquette du dirigeable Hypérion. Discovery Arcade, sorte de « passerelle culturelle et intellectuelle », prépare ainsi en douceur les visiteurs à pénétrer dans Discoveryland et son monde de la découverte et du progrès.

discoveryland

Discovery Arcade, passerelle intellectuelle et culturelle vers Discoveryland

Les passeurs de Discovery Arcade bénéficient aussi d’une première vision rétrofuturiste, à la façon de Discoveryland, à travers des affiches fictives des artistes Jim Michaelson, Maureen Johnston et R. Ziscis, du futur des villes américaines de New-York, Baltimore, New Orleans, Chicago, Atlantic City, Saint-Louis, Los Angeles, Denver, Washington D.C. et San Francisco, telles qu’elles auraient pu être imaginées aux alentours des années 1999-2000, où les verrières, les armatures métalliques, les aéronefs et les machines à vapeur sont légions. Des affiches dont le style a trouvé son inspiration dans celui de l’artiste Albert Robida et du magazine Popular Mechanix.

Dernière escale, Edison Avenue

La plus récente des vitrines d’exposition de Discovery Arcade fait la publicité de la firme Osram, créée en 1906, partenaire actuelle de Disneyland Paris et spécialisée dans les éclairages écologiques, une belle innovation de notre époque. Une transition sympathique puisqu’à la sortie de Discovery Arcade, vous vous retrouvez sur Edison Avenue qui mène à Discoveryland.

Edison Avenue, le chemin vers Discoveryland

Étant toujours sur Main Street, U.S.A., l’avenue se permet un hommage à l’un des plus grands inventeurs américains, à savoir Thomas Edison, à qui on doit notamment le phonographe, l’ampoule électrique ou la première caméra. Autre clin d’œil amusant voulu par les Imaginieurs, le passage d’Edison Avenue marque la transition entre Main Street, U.S.A. et Central Plaza, où les réverbères au gaz précèdent les lampadaires électriques. Un peu plus loin sur cette avenue le monde animé de Discoveryland se profile…

Partie 2 : Passés composés

Pour Tim Delaney, directeur artistique de Discoveryland, l’idée de base pour concevoir le land était très vite claire : « développer un lieu hors du temps ».

Inspirations à travers les époques

Pour se faire, les inspirations des Imaginieurs collaborant sur Discoveryland furent multiples. À commencer par les œuvres et les travaux des principaux visionnaires auxquels le land rend hommage : Jules Verne, Léonard de Vinci, H. G. Wells, George Lucas… et qui seront à l’origine de certaines attractions de Discoveryland traitant du voyage dans l’espace ou dans le temps, de la découverte, du progrès, du futur, de la technologie, de la connaissance… Mais parmi ces inspirations, on peut également citer certains témoins des siècles précédents auxquels les Imaginieurs renvoient, comme des maquettes planétaires, d’anciens objets scientifiques et astronomiques.

Parmi les références plus modernes, on retrouve les premiers comic-strips de science fiction du début du XXème siècle, avec les univers de Buck Rogers et Flash Gordon. Pour rester dans le domaine de la bande-dessinée, il est à noter aussi que les costumes des employés de Discoveryland s’inspirent, eux, du style des dessinateurs français Moebius et Enki Bilal. Parallèlement à cela, les Imaginieurs consulteront aussi des auteurs comme Ray Bradbury, connu pour ses romans d’anticipation ou dystopiques.

Ces différentes visions successives, qui ont constitué l’inspiration des Imaginieurs de Discoveryland,  confèrent au land la caractéristique d’un vaste panorama de l’évolution de la science-fiction.

Un hymne aux voyages et aux découvertes

Maquette de Timekeeper et sa machine à remonter le temps (crédit photo : Disney and More)

Comme le nom du land l’indique, la découverte est aussi au cœur de la thématisation unique de Discoveryland. La découverte au sens large. Qu’il s’agisse de nouvelles inventions, comme une machine à voyager dans le temps avec le Visionarium ou, plus tard, une machine à rétrécir. Mais aussi la découverte de nouvelles contrées et le moyen de le faire, car l’humanité témoigne que les voyages ont encouragé le progrès. Et qui mieux que Jules Verne ne l’a fait comprendre grâce à ces voyages extraordinaires vers la Lune ou dans les profondeurs abyssales, mais aussi des voyages vers des galaxies très, très lointaines avec Star Tours grâce à George Lucas, un autre visionnaire dans son genre.

Le transport tient donc une place de choix à Discoveryland. Pour s’en rendre compte, faisons un détour par la boutique Constellations, à l’entrée du land où l’une des vitrines de la boutique, inchangée depuis son ouverture, rend hommage à différents transports (train, vélo, aéronef…) mais également à travers un bas-relief présent à l’extérieur de la boutique. Grâce à ses attractions, Discoveryland invite au voyage, sur terre d’abord avec les voitures d’Autopia ; dans les airs avec le dirigeable Hypérion, le Star Speeder 3000 de Star Tours, les fusées d’Orbitron – les machines volantes, et enfin sous les mers avec le Nautilus.

Fresque de la boutique Constellations

À cela, pourrait s’ajouter les autres modes de transport qui arriveront par la suite à Discoveryland : les trains-fusées de Space Mountain, ou encore le train à vapeur traversant Discoveryland Station (la gare ne sera construite qu’en 1993). À ce titre, le passage du Disneyland Railroad à Discoveryland s’intègre parfaitement dans la thématique du land, le train à vapeur figure parmi l’imagerie steampunk, tout en étant déjà une prouesse de son temps, il est aussi contemporain de l’époque rétrofuturiste de Discoveryland. Dans l’univers du land, il est permis de concevoir le Disneyland Railroad comme un transport qui traverse l’espace mais aussi le temps, d’une certaine façon, en faisant voyager les visiteurs à travers les lands et les différentes époques qu’ils représentent.

Concept plus ambitieux pour Discoveryland Station par Tim Delaney

Nature et architecture au service de l’imaginaire

D’un point de vue architectural, les Imaginieurs s’inspireront en premier lieu de la première révolution industrielle pour illustrer leur vision de Discoveryland, comme en témoigne le Café Hypérion et plus tard Space Mountain, un sens du détail qui se retrouve jusque dans les lampadaires (qui ressemblent à des planètes) autour de l’attraction. Mais aussi du style Art-Déco, plus moderne, né au début du XXème siècle, comme en témoigne à leur tour les extérieurs de l’ancien Visionarium, d’Autopia et le bâtiment qui a abrité Captain Eo, Chéri, j’ai rétréci le public et aujourd’hui le Discoveryland Theater.

La fontaine spatio-temporelle

Malgré son caractère technologique et industriel, la nature tient aussi une place de choix à Discoveryland. L’entrée du land est notamment marquée par un bassin appelé initialement « fontaine spatio-temporelle » décorée d’éléments de roches brutes géométriques ; ces roches rappellent des formations cristallines comme on peut en avoir aux États-Unis ou les orgues volcaniques qu’on peut trouver en France et en Europe. On retrouve ces mêmes roches plus loin dans le land autour d’Orbitron et surtout Space Mountain (qui ne sont pas sans rappeler le projet de Discovery Mountain), qui nourrissent la légende selon laquelle Space Mountain serait installé dans un volcan dont la puissance alimente le canon qui propulse les navettes. Ces roches, d’après les Imaginieurs, soutiennent aussi l’ambiance de révolution technologique du land, tandis que leurs formes géométriques paraissent attirer le visiteur à Discoveryland.

La fontaine spatio-temporelle et ses effets originaux

À l’origine, le bassin à l’entrée de Discoveryland était plus impressionnant car des fontaines donnaient l’impression que l’eau était en ébullition et le bassin était capable de s’enflammer, le caractère volcanique des roches étaient alors des plus réalistes. Discoveryland évoque, avec sa fontaine « spatio-temporelle », l’idée de la puissance des éléments indomptables tandis que paradoxalement, plus loin dans le land, les arbres aux tailles géométriques témoignent d’une nature finalement soumise à l’homme. L’Imaginieur responsable des paysages du parc, Paul Comstock, souhaitait donner l’impression que les arbres du land étaient conçus par des ingénieurs avec leur aspect géométrique comme dans l’attraction Autopia ou leurs allures particulières comme l’Araucaria, venu du Chili, qui donne l’impression d’avoir des écailles, ou bien encore les arbres « antennes » de Space Mountain.

Lumières sur l’ambiance de Discoveryland

Discoveryland s’apprécie aussi particulièrement de nuit, quand les éclairages animant les bâtiments du land révèlent leurs aspects métalliques et subliment leurs structures, rendant leurs teintes cuivre, or et bronze chaleureuses, comme sur Orbitron ou Space Mountain. Ailleurs, les nombreux néons (une première pour un parc Disney à l’époque) tantôt rétro, comme à Autopia, tantôt électrisants, comme à Buzz Lightyear Laser Blast, illustrent selon les Imaginieurs la puissance de l’énergie qui alimentent les attractions, en même temps que l’énergie des idées nouvelles et de l’imagination. Les éclairages paraissent ainsi donner vie à Discoveryland, comme un grand phare de la connaissance et du progrès, chassant l’obscurantisme. Avec Main Street, U.S.A., Discoveryland est l’un des lands les mieux éclairés le soir.

David Tolley, compositeur de l’ambiance musicale de Discoveryland

Comme partout à Disneyland Paris, la musique d’ambiance est un élément complémentaire de la thématisation. La musique victorienne que l’on peut entendre à Discoveryland est synonyme d’innovation, de découverte, de voyage… imprégnée à la fois de classique et de fantaisie. La musique d’ambiance de Discoveryland a été étudiée pour être au rythme d’Orbitron. Le compositeur David Tolley a conçu l’ambiance musicale du land sur base d’esquisses et dessins accompagnés de quelques mots clefs comme « fly music », « musique de film », « glorieux », « espiègle », « Disney« , « amusant », « mystérieux », « promenade », « intemporel » ainsi qu’une vidéo des Imaginieurs concernant les effets de la fontaine « spatio-temporelle ». David Tolley ne disposa que de six mois pour composer et enregistrer l’ambiance musicale de Discoveryland, n’ayant pas assez de temps pour travailler avec un grand orchestre, il se chargea lui-même des instruments. Il incorpora à ses compositions des éléments de musiques classiques françaises, pour familiariser le public européen, et divisa les soixante minutes totales de l’ambiance musicale de Discoveryland en morceaux de cinq minutes, chacun représentant une des idées clefs fournies par Disney, comme le « mystère » ou la « gloire », et ainsi pouvoir les retravailler individuellement si les équipes Disney n’étaient pas satisfaites par certains morceaux.

À découvrir dans la prochaine partie : les attractions originales de Discoveryland à la loupe …

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2 commentaires sur "Discoveryland, analyse d’une crise d’identité (1/4) – le futur à l’heure européenne"
  1. Valérie Winnykamien

    Merci monsieur Richard pour ce très bel et intéressant article ! Alimenté de magnifiques documents… Je prends un réel plaisir à me promener dans Discovery Arcade et ne me lasse jamais d’admirer ces merveilleuses affiches « rétros », on peut d’ailleurs retrouver le style des paysages dans le récent film « A la poursuite de demain ». Mes attractions préférées à Discovery étant Orbitron, le Nautilus et Buzz, votre article m’ a enchantée !!! Mille mercis et bonne continuation !

  2. Géraldine

    Super article!!!! vraiment très riche et bien documenté!! il me tarde de lire la suite!!!!!

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