Merci à The Walt Disney Company France (David Popineau, Xavier Albert et Jérôme Le Grand) pour l’aide apportée à la réalisation de ce dossier.
L’évolution technologique bouleverse l’ensemble des médias en soit ; l’Homme étant un grand visionnaire, ce progrès incessant n’aura jamais de limites. Si ce perfectionnement concerne de nombreux domaines, nous nous intéresserons exclusivement à ceux du cinéma, de la télévision et à la majorité des éléments qui s’y rattachent (Digital 3-D, notion du numérique…), de près ou de loin. Ce qui était révolutionnaire à l’époque est désormais aujourd’hui dépassé, tandis que ce qui est actuellement innovant sera prochainement périmé. En quoi peut-on parler de dépassement ? Ce sujet est principalement décrit en terme de qualité d’image et de son ; les écrans s’agrandissent, les détails peuvent être dorénavant perçus dans l’infiniment petit. Les œuvres conçues présentement ne souffrent guère dans l’immédiat – puisqu’elles sont fabriquées pour les appareils actuels – mais plus le temps passe, et plus elles endureront ce néfaste avancement. Ne dit-on pas que la haute définition d’aujourd’hui est la basse définition de demain ? Les films, autrefois en basse définition, se dégradent notamment à cause d’un étirement de l’image (passage du 4:3 au 16:9, passage d’un visionnage d’une production d’un petit poste de télévision à écran plat géant…), laissant apparaître grésillements et irruption distincte de pixels.
Disney et la remasterisation
Une question se pose désormais : comment les « anciens » films parviennent-ils à suivre cette évolution ? Comment ces œuvres préexistantes peuvent-elles désormais contrer cette avancée ? La résolution et la définition s’accroissent et, pour qu’un film puisse jouir d’une qualité optimale à notre ère technologique – et celle de demain –, il subira continuellement des mutations, mutations que nous appellerons la remasterisation – aussi dénommé en anglais remastering. Avant de pénétrer dans le vif de notre dossier, nous tâcherons d’en donner une définition concrète : la remasterisation est un processus, une opération consistant à « la numérisation d’un document sonore ou vidéo initialement enregistré sous forme analogique » (source : Larousse) – à ne pas confondre avec la conservation et restauration des films, comme peut le faire la Cinémathèque française.
Mais plus que de passer à une simple numérisation, le principal but est d’obtenir une qualité visuelle et sonore exceptionnelle, comme si une production des années 1930 en question avait été réalisée en ce début du XXIe siècle. Ainsi, ce qui était considéré comme « média froid » (cool/cold media) par McLuhan peut effectivement se transformer en « média chaud » (hot media) si l’on passe par une remasterisation. Le terme est apparu depuis les premiers enregistrements, mais l’expression verbale « resmasteriser » est spécifiquement arrivée dès la présence grandissante du numérique au sein de nos foyers. Nombreux sont ainsi les enjeux technologiques, épistémologiques et esthétiques…
Pour étudier ce vaste sujet, nous analyserons essentiellement la remasterisation des chefs d’œuvres Disney, premier studio de portée internationale concerné. Pourtant, si nombreux étaient ravis de prime abord face à cette volonté d’amélioration, les avis commencent peu à peu à diverger. Pourquoi s’attarder à l’univers Disney ? Si le procédé de rematriçage peut effectivement s’appliquer à bon nombre de sociétés de distribution, la Walt Disney Home Entertainment (anciennement nommé Walt Disney Home Video) est la seule à proposer continuellement des éditions nettement perfectionnées à chaque nouvelle vague technologique (de la Video Home System – ou VHS – au Blu-Ray) parmi plusieurs centaines de réalisations depuis la conception de Blanche-Neige et les Sept Nains en 1937. Il est d’autant plus intéressant d’enquêter cette notion dans cette major américaine puisqu’elle témoigne d’une grande variété de films, de l’animation à la fiction en prise de vue réelle, et d’un nombre incommensurable d’admirateurs.
UN SOUFFLE DE JEUNESSE A TRAVERS UNE EVOLUTION DE SUPPORT |
1-La mise en place d’un support vidéo de masse
Pour étudier ce concept de remasterisation, il faut revenir au préalable à la fin des années 1970, lorsque le studio annonce l’édition de ses longs métrages en support vidéo de masse, à savoir le laserdisc – aujourd’hui considéré comme l’ancêtre du DVD Disney. Ce support étant très laborieux et coûteux, la Video Home System et la betamax prendront très vite le relais au début des années 1980. S’il commençait par éditer des téléfilms et des courts métrages, ils ne tarderont pas à sortir les grands classiques d’animation Disney, à commencer par Dumbo (1941) de Ben Sharpsteen et Alice au Pays des Merveilles (1951) de Clyde Geronimi, en 1982. Ainsi seront édités, par la suite, l’ensemble des succès ; un dispositif qui engendra de nombreux bénéfices. A cette époque, il ne s’agit encore que d’un transfert de pellicule sur un support de masse ; le film conserve entièrement sa version d’origine, des couleurs baveuses aux grésillements de la pellicule.
Mais les studios Disney possèdent une politique qui leur est propre. Ils vendent leur édition pour une durée limitée – c’est-à-dire qu’un titre sera mis en vente pendant une période donnée ou simplement jusqu’à l’épuisement des stocks – puisqu’ils envisageaient, dès les années 1980, les rééditions des films venant seulement de paraître, précisant qu’un « titre est édité, disponible en temps limité, retiré ensuite de la vente afin de permettre une période moratoire et une réédition quelques années plus tard » (source : Dave Smith, Disney A to Z: The Updated Official Encyclopedia, Hyperion Books, 1998). La Walt Disney Home Entertainment sera d’ailleurs inauguré en 1980. En effet, impossible d’ignorer les esprits novateurs des salariés des studios Disney, déjà pleinement conscients de l’avancée technologique rapide à la fin des années 1980 ; les notions de réédition et de remasterisation commencent à voir pleinement la lumière du jour. Constatant la force de ce nouveau système – Pinocchio fera un record de vente en 1985 –, le studio mettra d’ailleurs en place un nouveau département au début des années 1990, le DisneyToon Studio, pour sortir ses productions, non pas au cinéma, mais directement en vidéo – procédé aussi appelé le direct-to-video (DTV) –, comme ce fût le cas par exemple pour la première suite d’un chef d’œuvre Disney avec Le Retour de Jafar (1994) de Toby Shelton ou Dingo et Max (1995) de Kevin Lima. Certes, nous arborons notamment l’univers de la vidéo, mais les rééditions seront toutes aussi présentes par la suite, autant à la télévision qu’au cinéma.
2-Le phénomène DVD / Blu-Ray
Vendu dans le commerce dès 1995, le DVD remplacera vite la VHS puisqu’il témoigne, avec son lecteur adéquat, d’une qualité supérieure et d’une nouvelle interactivité (présence d’un menu, possibilité de contenus additionnels). Cette forme sera vite la convoitise du studio Disney, voyant ici le moyen d’offrir une toute nouvelle expérience aux spectateurs et un moyen alternatif de donner une nouvelle jeunesse à ses œuvres. A cet effet, il annonça la sortie de ses productions – déjà sortie en VHS – sur ce support ; le phénomène du DVD est lancé dès 1997. Ainsi s’ajoutent des bonus aux films (jeux, menu interactif, making-of…) dans une qualité jusque là jamais vu ; les couleurs ont été renforcées, l’image gagne en netteté. Autrement dit, Disney instaure une définition et une résolution plus haute, tâchant de mettre en place la haute définition de la période actuelle. Prenons un exemple en image du passage VHS en DVD de Cendrillon (1950) de Clyde Geronimi :
Le film perd son aspect brumeux pour laisser jaillir des couleurs claires et agréables à l’œil. Sur cette précédente image, nous observons plus facilement la magie ou même les expressions du visage. Si la résolution a été augmentée, l’œuvre n’en est pour le moins aucunement dénaturée, jubilant toujours d’une image en 4:3. Effectivement, le but premier d’une remasterisation consiste à améliorer la qualité d’image et non à modifier des éléments propres à la production. Cependant, ces nouvelles éditions prenaient du temps (création de menus animés, retouche d’image, ajout de filtre…) ; ainsi, le studio ne pouvait effectuer que quelques rééditions par an, sachant également que d’un point de vue stratégique, il mit en place des vagues de sorties, c’est-à-dire la sortie simultanée, à une date convenue, de plusieurs grands classiques. Et, comme nous l’avons précédemment signalé, il fallait acheter précipitamment le DVD avant sa disparition dans le commerce. Disney promouvait énormément les remasterisations de ses œuvres à travers des campagnes publicitaires, affirmant par exemple : « Découvrez le film comme vous ne l’avez jamais vu auparavant » (source : Bande-annonce de La Belle au Bois Dormant (1959) de Clyde Geronimi en 2008) avant d’annoncer l’incroyable qualité d’image et de son.
Si l’ensemble des spectateurs étaient conquis par les rendus retravaillés, l’annonce d’un nouveau support, le Blu-Ray, annonça déjà la fin du DVD, pour laisser place à une qualité encore supérieure. Dès 2005, la Walt Disney Home Entertainment était pleinement conquise, voyant dans ce nouveau support le moyen de faire une énième jeunesse à ses classiques. En effet, ce dernier permet encore d’accroître les détails de l’image, de raviver les couleurs et de fluidifier le tout, puisque ce dernier dispose d’une capacité de stockage incroyablement supérieure à celle du DVD. Les images trouvent un éclat incroyable, permettant d’admirer, dans les moindres détails, les coups de crayons nécessaires pour chaque image, afin de créer l’illusion d’un mouvement propre au cinéma d’animation traditionnel, tel est l’exemple adéquat avec la sortie récente du (Le) Livre de la Jungle (1961) de Wolfgang Reitherman. Voici l’exemple, en images, de La Belle et la Bête (1991) de Gary Trousdale :
Ces présentes éditions en Blu-Ray, créées et importées depuis Londres, permirent aussi l’arrivée des éditions collectors afin de ravir les admirateurs ; cependant, les collections seront peu à peu stoppées…
MULTIPLICITE DES OFFRES ET REMISE EN CAUSE |
1-Découvrir la haute définition à travers différentes offres Disney
Les studios Disney profitent de l’ensemble des médias et des progrès technologiques pour offrir de nouvelles expériences à ses spectateurs. L’arrivée de la Digital 3-D permit au cinéma de repenser un film ; mais pour les œuvres préexistantes, ils trouvèrent le moyen de les convertir en 3D stéréoscopiques et d’annoncer, à cet effet, une ressortie au cinéma. Projetée sur un écran de cinéma, la production, de nouveau restaurée pour les besoins de la 3D, témoigne d’une qualité sonore et visuelle hors norme. Force est malheureusement de constater une volonté principalement commerciale et non artistique puisque, comme la plupart des ressorties cinématographiques, l’ajout de la 3D est quasi-inexistante – les plans tournés et dessinés n’ont pas été pensés en vue tridimensionnelle. Les couleurs rafraîchissantes sont ainsi assombries par le filtre ; toutefois, les sociétés de distribution diffuseront dans le commerce de nouvelles éditions en 3D optionnelle, destinés aux foyers équipés.
Sans étonnement, les distributeurs ne tirèrent que très peu de bénéfices mais nous voyons, en revanche, leur volonté d’avancer en même temps que l’évolution technologique. Très récemment encore, nous pouvions découvrir au cinéma le grand chef-d’œuvre du studio Disney : Le Roi Lion (1994) de Roger Allers ou encore Le Monde de Nemo (2003) d’Andrew Stanton. Impossible de nier que ces ressorties cinématographiques n’étaient guère convoitées pour être vues en 3D, mais simplement de découvrir, dans d’excellentes conditions, une œuvre mythique dans une qualité d’image et de son exceptionnelle.
Les studios Disney multiplieront aussi les offres liées à la télévision, à l’aide de contrats avec des chaînes de télévision, de partenaires, etc. En contrat dernièrement avec M6, chaîne bénéficiant de la haute définition, la diffusion des productions Disney est, si l’on possède le matériel adéquat, tout simplement surprenante en terme de qualité, semblable à celle d’un disque Blu-Ray. De même, il est possible de retrouver les films sur internet, dans leur dernière date de restauration, à travers des sites spécialisés dans la vidéo à la demande. La distinction entre support vidéo et télévision tend définitivement à s’amoindrir.
Mais malgré ces nouveaux types d’offres, le marché de la vidéo, et précisément celui du DVD/Blu-Ray, reste le plus en effervescence. Pourtant, nous entrons dans une phase où la quantité prend le dessus sur la qualité.
2-Vers la fin d’une haute définition ?
Les principaux acheteurs des œuvres Walt Disney sont essentiellement les familles et les collectionneurs – ou admirateurs. A l’heure du numérique, les exigences augmentent suivant les progrès technologiques. Si les ventes sont encore respectables, la qualité de la marchandise diminue peu à peu, créant révoltes et indignations des acheteurs, et notamment des « disneyphiles ». Si le studio proposait à l’époque des remasterisations de qualité (Blu-Ray fourni avec un fourreau, une multitude de bonus, un menu entièrement interactif et une qualité d’image et de son à nulle comparaison), nous entrons aujourd’hui dans une période où la quantité semble primée sur la qualité. Mais à présent, l’unicité des éditions Disney face à d’autres distributeurs comme Warner Bros ou Metropolitan Filmexport s’efface peu à peu. Pourquoi ?
Outre la suppression du fourreau ou du menu interactif, les présentes sorties des productions Disney ne sont en soit que de simples « recyclages » des précédentes éditions vidéo, et particulièrement celles du DVD. Ce recyclage commence d’abord par sa jaquette, avant de découvrir des bonus entièrement similaires au DVD et aucunement remasterisés : l’image est déformée, pratiquement illisible – et inaudible – sur un grand écran de salon. Il est d’ailleurs possible de voir figurer en minuscule sur le dos des Blu-Ray : « certaines fonctionnalités peuvent ne pas être opérantes en fonction du lecteur ». Fort heureusement, la qualité du film – ou du moins, les réalisations d’après la fin des années 1980 – au niveau visuel et sonore, reste optimale.
Mais à l’aube de l’année 2014, nous entrons dans une nouvelle phase de la remasterisation, et cette dernière est loin d’être exempte de défauts. Légèrement bâclée, elle remet en question l’ensemble des arguments que nous avons développés jusqu’à présent. Il y a une modification directe et majeure sur l’entité des productions ; à ce titre, nous constatons une censure et un recadrage complet sous l’apparence d’un zoom de l’image, transformant dorénavant le 4:3 en 16:9. Une partie de l’image est ainsi coupée, supprimant des heures et des heures d’acharnements, de dessins pour l’animation et de construction de décors pour la prise de vue réelle. Une telle suppression peut aussi engendrer la perte d’éléments décoratifs jugés nécessaires dans une action afin d’en définir une atmosphère. Plus inquiétant, le traitement de l’image dans une remasterisation n’a plus lieu d’être. Si l’on prenait autrefois le temps de travailler chaque image – soit 24 images par seconde dans la plupart des cas –, la charge de travail se voit aujourd’hui allégée. Effectivement, la retouche repose maintenant sur l’ajout de plusieurs filtres pour donner un semblant d’éclat neuf à l’œuvre. L’aspect final ne possède plus le grain propice à l’époque, certes, mais témoigne d’un grossier effet de peinture. Le rendu, aux couleurs baveuses, n’en reste pas moins flou et étonnement désagréable à l’œil. La production, plus qu’être dénaturée, ne dispose plus de détails ; pour un film d’animation, on ne retrouve plus les coups de crayon, remplacés par des traits épais, les décors peints sur cellulo ont perdu toutes leurs textures et leurs effets de reliefs. Illustrons ces propos à l’aide de l’exemple parlant du (Le) Noël de Mickey (1983), de Burny Mattinson, sorti récemment en Blu-Ray sur le sol américain :
Le terme de resmasterisation commence à perdre peu à peu son véritable sens…
Conclusion
Avec le temps, il y aura davantage d’œuvres réalisées. Nous découvrons aujourd’hui des longs métrages visuellement époustouflants – d’une définition et de résolution gigantesque – comme La Reine des Neiges (2013) de Jennifer Lee. Cependant, dans combien de temps vont-ils être dépassés par la technologie, jusqu’à devoir subir, eux aussi, une remasterisation ? Une chose est sûre, ce temps sera de très court terme…S’il est possible de témoigner d’une évolution constante dans le monde audiovisuel, il devient particulièrement difficile de suivre le rythme. En effet, les œuvres préexistantes bénéficient d’une nouvelle jeunesse à travers la remasterisation, mais il est fort à parier que le Blu-Ray ne sera sur le marché de la vidéo que pour une période donnée ; c’est-à-dire qu’il sera vite remplacé par un support de qualité suprême, notamment pour mettre en œuvre une définition encore supérieure, tel est le cas présent avec l’arrivée des télévisions 4K. Plus on augmente la taille de l’image, plus celle-ci demande de travail jusqu’au moment où le rendu visuel ne pourra pratiquement plus être modifié. Et avec le progrès du matériel (taille des écrans, lecteurs vidéo, home cinema…), il convient malheureusement de changer l’ensemble de nos appareils fréquemment. Toutefois, si nous nous sommes concentrées principalement sur l’aspect évolutif de l’image, il en est entièrement de même en ce qui concerne le son (Dolby Digital, passage du 5.1 au 7.1, etc). De même, la Walt Disney Company est un exemple – probablement le plus illustratif – parmi tant d’autres, où la même analyse pourrait être effectuée.