Critique de Taram et le Chaudron Magique

Publié par Naomi HUART le 30 septembre 2018 | Maj le 1 octobre 2018

Depuis la mort de Walt Disney en 1966, les studios entrent dans ce que l’on appelle le « dark age« , une période définie par des longs-métrages d’animation aux succès mitigés qui ne font plus toujours le plaisir des critiques et des spectateurs. Si certains films de cette période sont aujourd’hui considérés comme des classiques, comme les Aristochats, Winnie l’ourson ou encore Robin des Bois, d’autres semblent condamnés à conserver leur mauvaise réputation. Taram et le Chaudron Magique, sorti en 1985, marque le point le plus bas de la période du dark age. Avec un chiffre d’affaires de seulement 21,3 millions de dollars aux USA, le film a fait perdre plus de 20 millions de dollars à Disney qui était alors au bord de la faillite ! Mais ce film est-il si mauvais que sa réputation le laisse entendre ?

Fiche technique de Taram et le Chaudron Magique

  • Production : Walt Disney Animation Studios
  • Titre original : The Black Cauldron
  • Titre français : Taram et le Chaudron Magique
  • Diffusion française : 27 novembre 1985
  • Diffusion américaine : 24 juillet 1985
  • Réalisateur : Ted Berman, Richard Rich
  • Scénario : Ted Berman, Ron Clements, Vance Gerry, David Jonas, John Musker, Richard Rich, …
  • Musique:  Elmer Bernstein

Synopsis de Taram et le Chaudron Magique

Taram, apprenti sorcier au pays enchanté de Prydain, doit empêcher le Seigneur des Ténèbres d’étendre sa domination maléfique. L’enjeu est le chaudron magique.

Taram et le Chaudron Magique : des prises de risque majeures

C’est en 1973 que Disney acquière les droits de la saga littéraire écrite par Lloyd Alexander, les Chroniques de Prydain. Disney souhaitait en effet explorer de nouveaux thèmes pour relancer sa popularité et pouvoir rivaliser avec les films de Don Bluth comme Brisby qui avaient alors plus de succès. Taram et le Chaudron Magique marquerait ainsi l’entrée de Disney dans le monde de l’heroic fantasy.

La difficulté était évidemment de pouvoir adapter une saga de 5 volumes avec plus de 30 personnages en un film de 80 min. Il a fallu 6 ans de brainstorming chez Disney pour finalement confier la production du film à Joe Hale (la Belle au Bois Dormant, les 101 Dalmatiens) qui décida de prendre le personnage du Seigneur des Ténèbres comme antagoniste principal, alors qu’il n’occupait qu’une place mineure dans les livres. Quant à la recherche du Chaudron Magique, elle devient l’enjeu principal de Taram tandis qu’un seul volume de la saga lui est vraiment consacré.

La conception du film est en grande partie confiée à de nouveaux animateurs (dont Tim Burton) après avoir fait leurs preuves avec Bernard et Bianca en 1977. Joe Hale voulait en effet que Taram et le Chaudron Magique soit une véritable révolution pour les studios, et, pour ce faire, n’a pas hésité à utiliser toutes sortes de nouveautés. C’est ainsi le premier film d’animation Disney à utiliser l’image de synthèse pour certains objets du décor.

Joe Hale voulait également se démarquer de l’image généralement très enfantine associée à Disney qui ne semblait plus correspondre avec les demandes du public. Taram et le Chaudron Magique a donc une atmosphère beaucoup plus sombre et adulte que les autres films d’animation Disney, avec des scènes parfois à la limite de l’horreur (le Seigneur des Ténèbres se fait déchiqueter en lambeaux à la fin du film !) et quelques sous-entendus sexuels (on voit parfaitement les sous-vêtements de la danseuse lors de la scène dans le château, et l’une des trois sorcières veut beaucoup plus qu’un simple bisou de la part du Barde Ritournelle). De ce fait, Taram et le Chaudron Magique est le premier film Disney a recevoir la mention PG (Parental Guidance). Aujourd’hui, presque tous les films Disney/Pixar ont la mention PG car il suffit d’une petite scène d’action pour l’obtenir, mais à l’époque, elle était destinée aux films familiaux plus intenses comme par exemple les Gremlins ou Poltergeist.

Malheureusement, bien que le film ait été salué pour son animation de qualité et ses innovations techniques, il n’a pas été bien reçu par les critiques et le public, si bien que pendant longtemps, Disney a tout fait pour oublier son existence…

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Taram et le Chaudron Magique : une histoire bancale

Taram et le Chaudron Magique est souvent cité comme « le Disney le plus mauvais » par les personnes ayant une connaissance moyenne des studios – les grands connaisseurs vous diront que ce titre revient plutôt à Chicken Little. Pourtant, le fait est que peu de personnes l’ont vraiment vu, et se contentent souvent de répéter ce que Disney a longtemps laissé croire, à savoir que ce film est un échec et qu’il mérite à peine une sortie en cassette vidéo.

Taram et le Chaudron Magique, bien qu’il soit loin d’être un chef-d’œuvre, n’est pas un mauvais film. Son plus gros défaut se situe certainement au niveau du scénario :

Pour résumer, le film raconte l’histoire de Taram, un gardien de cochons, qui se voit confier la mission de protéger la petite truie Tirelire, qui a le pouvoir de déclencher des visions quand on lui plonge la tête dans l’eau. Ces visions peuvent entre autres dévoiler l’emplacement d’un Chaudron Magique qui pourrait plonger le monde dans le chaos s’il venait à tomber dans les mains du diabolique Seigneur des Ténèbres. Taram doit donc emmener Tirelire en lieu sûr. Après une rencontre avec le Seigneur des Ténèbres, il décide, accompagné de la Princesse Eilonwy, de la créature Gurgi et du Barde Ritournelle, de trouver lui-même le chaudron et de le détruire.

Comme on peut le constater, l’histoire est un peu bancale. On ne nous dit par exemple jamais clairement quels sont les pouvoirs du chaudron, comment l’utiliser ou même pourquoi le Seigneur des Ténèbres veut réveiller une armée de morts (on suppose que c’est pour contrôler le monde, mais quoi qu’il en soit, ses motivations méritent d’être mieux définies). On ne sait même pas quelle place le Seigneur des Ténèbres occupe dans cet univers, s’il est reclus dans son château, rejeté de tous, ou si, au contraire, il exerce une certaine forme de pouvoir sur le reste du royaume. Les scènes manquent parfois de cohérences entre elles, et bien que ce ne soit pas un défaut en soi, ce genre de narration pourra perturber les spectateurs qui apprécient une certaine linéarité.

Le film souffre également d’un nombre incalculable de trous scénaristiques : par exemple, pourquoi avoir reconduit Tirelire à la ferme après que Taram l’ait libérée du Seigneur des Ténèbres, alors qu’éloigner Tirelire de la ferme était justement le but de sa mission ? De plus, les objets magiques possédés par les trois personnages principaux sont pratiquement inutiles à l’intrigue. Taram se sert de son épée magique uniquement pour l’échanger contre le chaudron, et ni la boule de lumière d’Eilonwy, ni la lyre détectrice de mensonges de Ritournelle ne servent à quoi que ce soit.

Mais ces défauts ont su jouer en faveur du film : aujourd’hui, les spectateurs s’en amusent, et le considèrent ainsi comme un « plaisir coupable » qui, faute d’être un chef-d’œuvre, est au moins divertissant dans sa maladresse.

Taram et le Chaudron Magique : des personnages attachants dans un univers d’heroic fantasy

Mais mis à part donc le scénario qui peut en dérouter certains, le film reste très appréciable. L’atmosphère d’heroic fantasy est parfaitement exploitée et plaira aux fans du genre. On y retrouve tous les codes, sans forcément avoir l’impression d’un univers déjà rencontré dans d’autres films du même style. Le Royaume de Prydain possède sa propre mythologie, et bien que le film ne l’ait pas autant exploité que le livre, on peut tout de même deviner la richesse de l’œuvre de Lloyd Alexander. De la musique aux prénoms des personnages en passant par les paysages, les créatures et les objets magiques proches d’un RPG, tous les éléments sont réunis pour plonger le spectateur au cœur de Prydain. L’atmosphère sombre a peut-être dérouté le public dans les années 80, mais, avec le recul, elle donne une réelle identité au film, qui le différencie du reste de la filmographie Disney. Taram et le Chaudron Magique n’est certes pas à montrer à n’importe quel enfant, mais lorsqu’on voit le succès d’autres films d’animation comme l’Etrange Noël de Monsieur Jack ou Coraline, il est certain que cette atmosphère plus sombre n’est en aucun cas un défaut.

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Les personnages, bien que peu marquants individuellement, forment un groupe attachant. Taram, Eilonwy et Ritournelle se complètent parfaitement et leur trio fonctionne très bien. Ritournelle fait un bon « comic relief », pas trop lourd, dont l’humour vient surtout de ses répliques et de ses réactions. Eilonwy est un excellent personnage féminin : malgré ses allures de princesse douce et fragile, la fillette réussit seule à s’évader de sa cellule (c’est même elle qui vient délivrer Taram) et ne joue pas à un seul moment les demoiselles en détresse. Elle n’hésite pas non plus à s’emporter contre Taram lorsqu’il l’accuse de n’être « qu’une fille », et de lui rappeler que sans elle, il serait encore en train de croupir dans le château du Seigneur des Ténèbres. Eilonwy prouve qu’une femme peut tout à fait être forte et débrouillarde tout en étant douce et innocente, et même si, selon le livre, elle n’est pas une vraie princesse, elle mériterait tout à fait sa place dans la licence Disney Princess.

Taram et Gurgi sont peut-être les personnages les plus agaçants. Taram est tellement absorbé par l’idée de devenir un héros qu’il en vient à oublier de surveiller Tirelire, ce qui provoque son enlèvement. Malgré son courage, il n’est ni particulièrement intelligent, ni particulièrement doué en combat, et on peut même se demander s’il ne ferait pas mieux de tout confier à Eilonwy qui semble beaucoup mieux connaître le fonctionnement du Royaume que lui. Gurgi est la mascotte classique, de la même trempe qu’Olaf, qui plaira à certains et paraîtra insupportable à d’autres.

Ajoutons à ces personnages la petite Tirelire, la truie débrouillarde, têtue et adorable de Taram, ainsi qu’un trio de sorcières déjantées et un méchant terrifiant, et on obtient un casting très solide, qui porte bien le film.

Taram et le Chaudron Magique

Aujourd’hui, Taram et le Chaudron Magique semble regagner la popularité qu’il mérite, grâce aux fans de cinéma d’animation qui comptent bien le défendre et prouver qu’il est loin d’être aussi mauvais qu’on le croit. Les studios Disney commencent enfin à y porter de l’intérêt, et après avoir tout fait pour oublier son existence, un projet de film live-action adapté des Chroniques de Prydain a été annoncé ! Cela permettrait à Disney d’exploiter la saga littéraire de Lloyd Alexander dans sa totalité, tout en relançant la popularité de Taram et le Chaudron Magique et peut-être donner l’envie aux studios de prendre à nouveau des risques et de se renouveler de temps en temps.

Disney aurait ainsi sa propre saga d’heroic fantasy, et pourrait définitivement dominer la pop-culture. L’un des plus gros échecs de Disney signera-t-il finalement sa suprématie totale sur le monde cinématographique ?

3.8/5 - (5 votes)
3 commentaires sur "Critique de Taram et le Chaudron Magique"
  1. GAVEL Sylvie

    très bel article sur ce film que j’aime beaucoup merci

  2. Eilonwy-Willow

    Un de mes Disney préférés (mon 7ème préféré pour être exact)! Merci de lui rendre un peu de sa gloire, complètement haï par les Disneyphiles (notamment Mayo Lek). Je n’ai jamais trouvé le scénario de ce film mauvais, je l’ai même trouvé très bon!
    Je suis amoureuse d’Eloïse, j’adore Taram, Gurki et Ritournelle, j’adore son ambiance, son méchant, son animation, sa musique, il n’ya que quelques détails qui me chiffonnent: c’est dommage qu’Eloise et Ritournelle ne soit pas super dévelopés (et pourtant Eloïse est ma princesse Disney favorite!), mais comme l’a dit Cyber Story, ça stimule l’imagination! Pour ma part, j’imagine toujours que les parents de taram sont morts pendant la guerre (qui est précisé au début du film), pour Eloïse, ses parents ont été tué par le Seigneur des Ténèbres, après son enlèvement (c’est pour ça qu’elle pleure à mon avis après que Taram lui ai dit « C’est une idiote, même si c’est une princesse »)
    J’ai pour le coup, un coup de coeur notable pour la première Version Française (avec Thierry Bourdon en Taram, et Barbara Tissier en Eloïse, et le grandiose Roger Carel en Crapaud et Gurki). Je déteste la voix de Christophe Lemoine (Taram): il surjoue ou sousjoue, et Chantal Macé ne fait pas bien je trouve Eloïse, qui a 12 ans. Je recommande donc beaucoup plus la VF de 1985, ou la VO, mais je vous déconseille fortement la VF de 1998.
    Merci encore pour cet excellent article!

  3. Clément TERNARD

    Bonjour,

    Merci pour votre message, cela nous fait très plaisir !

    Cordialement,

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