L’Étrange Noël de monsieur Jack : critique du film

Publié par Kevin Gauthier le 28 juin 2018 | Maj le 10 juillet 2018

L’Étrange Noël de monsieur Jack est une œuvre à part dans la filmographie de Tim Burton, puisqu’il n’en est pas le réalisateur qui est Henry Selick, et qu’il s’agit d’un film d’animation utilisant la technique de l’image par image. Pourtant c’est un des films qui lui est le plus personnel, dans la mesure où il est l’initiateur du projet. Celui-ci remonte à l’époque où il travaillait chez Disney : après le tournage de Vincent, un film d’animation de six minutes qu’il a réalisé en 1982, il commence à étudier une autre adaptation d’un de ses poèmes, The nigthmare before Christmas (L’Étrange Noël de monsieur Jack) . Cependant, contrairement à Vincent où il sent que le projet peut être attaqué immédiatement, il pense que L’Étrange Noël de monsieur Jack … doit être un film plus abouti techniquement. En autre, il veut qu’il ait une durée plus conséquente. C’est pourquoi le tournage effectif, confié à un spécialiste du genre, Henry Selick ne débute qu’en juillet 91.

L’Étrange Noël de monsieur Jack l’histoire du film

Dès le poème initial, on a la trame du scénario de L’Étrange Noël de monsieur Jack, même si de nombreux personnages seront ajoutés dans le film. Le conte nous emmène à Halloween Town, où les habitants de ce lieu étrange sont chargés, chaque année, de répandre la terreur sur Terre pendant la nuit d’Halloween. Si la ville possède un maire, le personnage le plus en vue à Halloween-ville est Jack Skellington. Squelette inventif et roi des citrouilles, il est un génie en matière de crimes et autres actes terrifiants. Cependant, toutes ces années passées à effrayer les gens pour la fête d’Halloween ont eu raison de son enthousiasme et il cherche désespérément un autre cheval de bataille. C’est alors qu’au cours d’une nuit d’errance dans des bois reculés, il tombe sur l’entrée d’une ville dont il ne soupçonnait pas l’existence : Christmas Town. Intrigué, il passe la porte interdite et découvre un monde coloré de joie et de bonne humeur (on s’en doute, un parfait contraste avec son univers habituel). Émerveillé par tant de bonheur, Jack ne pense plus qu’à une chose : importer Noël dans son monde et organiser la prochaine fête de Noël. Malheureusement, sa nature d’être effrayant l’empêche de comprendre le sens positif de Noël et il ira de désillusions en désillusions …

Etrange Noël de Monsieur Jack

L’univers de Tim Burton

En voyant le film L’Étrange Noël de monsieur Jack qui est le quarante-et-unième long-métrage d’animation des studios Disney, on a vraiment l’impression d’être devant un condensé de tout ce qui est caractéristique de l’univers de Tim Burton, en grande partie parce que le film se déroule principalement à Halloween Town. On imagine que Burton s’est fait un plaisir de donner la vie à ces habitants cauchemardesques en les plaçant dans un lieu qui offre au spectateur un aperçu visuel de son imaginaire. Bien sûr, on trouve à Halloween Town des personnages qui sont le reflet des grandes étapes du cinéma d’épouvante : vampires à l’accent roucoulant, savant fou mégalomane, loup-garou en chemise déchirée, créature du lac à la peau moite, morts-vivants repoussants, momie… Comme d’habitude, Tim Burton ne cherche pas à cacher ses inspirations et donne au spectateur la vision de ce qu’il ressent et de ce qu’il aime sans non plus vouloir faire de son film un hommage aux films classiques : il est évident que ses créatures sont influencées par les œuvres qui l’ont marquées, mais la référence s’arrête à la reconnaissance de cette influence.

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Les personnages de l’Etrange Noël de Monsieur Jack

Les habitants de la ville ont leur existence propre et libre à Burton de les présenter abrutis ou intelligents, importants ou anonymes dans cette société où ils cohabitent pour les besoins du conte. De plus, tous ces monstres ont été redessinés par la patte inimitable de Burton, ce qui les transforme en créations presque originales. Le personnage de Sally est le meilleur exemple de ce principe. Bien entendu, cette jeune fille rapiécée et couverte de sutures fait penser à la créature de Frankenstein (le rôle du savant étant repris par le docteur Finkelstein), mais elle possède une grâce et une personnalité qui n’appartiennent qu’à elle. D’autres créatures sont bien sûr issues de son imagination, à commencer par Jack Skellington, squelette filiforme et habillé d’un costume à rayures tellement typique des personnages de Burton (on pense à Beetlejuice et Max Shreck dans Batman le défi). Le maire, l’orchestre macabre, Zéro le chien fantôme de Jack, Am, Stram et Gram sont autant de personnages secondaires auxquels il a été apporté un tel soin que chacune de leurs apparitions est un régal.

En effet, une des qualités de L’Étrange Noël de monsieur Jack est sa superbe réalisation artistique. Dans la mesure où de tels films d’animation ne sont pas très nombreux, on peut dire que d’un point de vue technique il s’agit du plus somptueux film réalisé en image par image. De plus, si comme le voulait Burton la quasi-totalité du film a été faite de manière traditionnelle, l’ordinateur est tout de même présent, notamment pour assurer la fluidité et la cohérence de l’ensemble des déplacements des marionnettes lors des mouvements de caméra. Quand on voit le résultat final, on comprend l’attachement de Tim Burton à ces techniques d’animation : il se dégage du film une telle force et un tel émerveillement qu’on ne peut qu’adhérer à ses convictions sur l’image par image. Avec ce procédé, on ressent vraiment le travail des animateurs comme une forme d’art on apprécie d’autant plus la qualité d’une scène qu’on peut imaginer le temps et l’application qu’elle a exigé de ses créateurs pour être réalisée. Comme le dit Tim Burton : « Quand l’animation image par image est faite avec talent, on sent l’énergie du créateur ». C’est précisément cette énergie qui donne à L’étrange Noël son côté envoûtant qui fascine le spectateur.

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Les musiques du film L’Étrange Noël de monsieur Jack

Une autre réussite incontestable du film est la qualité de ses passages musicaux. C’est encore une fois le compositeur Danny Elfman qui assure la bande originale de L’Étrange Noël de monsieur Jack mais sa collaboration avec Tim Burton est encore plus importante que sur ses autres films. En effet, il s’agit également d’une comédie musicale où de nombreuses scènes chantées ont une importance capitale pour l’histoire, d’où la mise en valeur de ces séquences. A ce titre la chanson d’ouverture est absolument incroyable, elle plonge immédiatement dans l’ambiance du film (après une brève introduction également parfaite), avec un rythme à la fois macabre et entraînant, une instrumentation puissante qui colle impeccablement aux animations présentes à l’écran (j’adore particulièrement le plan où les citrouilles tombent et se plantent sur les pics d’une grille de cimetière distordue, encore un élément fabuleusement Burtonien), et des chœurs magnifiques. On doit d’ailleurs ici remarquer, pour la version française, le somptueux travail d’adaptation de Philippe Videcoq, qui a su garder l’esprit (et même souvent le sens) des textes originaux d’Elfman tout en composant des rimes en parfait accord avec la musique.

Pour en revenir à cette scène d’ouverture, les différents habitants d’Halloween Town se succèdent dans un numéro endiablé pour présenter au visiteur leur monde à la fois terrifiant et diaboliquement joyeux, c’est absolument irrésistible ! Mais la réussite ne s’arrête pas là : un autre passage fabuleux est celui où Jack Skellington se retrouve seul dans le cimetière (un haut-lieu de la ville bien sûr) et fait un monologue pour exprimer sa mélancolie. Les paroles sont vraiment très belles, Jack (alias Danny Elfman, eh oui, n’oubliez pas qu’il fût pendant quinze ans le formidable chanteur du groupe Oingo Boingo) change de ton de manière très convaincante et la musique est un superbe thème récurrent du film. Par la suite, on est livré à la prestation de Am, Stram et Gram qui est l’occasion d’un thème plus obsédant et également très bien exploité. Enfin, un passage que nous aimons aussi beaucoup est le numéro du personnage d’Oogie Boogie qui, au cours d’un blues chanté dans son casino morbide, fait tourner la tête du Père Noël, enlevé par Am, Stram et Gram qui lui ont littéralement jeté en pâture. La façon avec laquelle Oogie Boogie joue avec lui est vraiment bien rendue et les paroles sont encore une fois parfaites, de même que la performance vocale de Ken Page, qui donne à son personnage la tonitruance et l’exubérance nécessaires. Et nous ne parlons pas de la découverte de Christmas Town par Jack, de la complainte de Sally, des interrogations de Jack, et de la superbe scène finale (Halloween Town et son cimetière sous la neige, c’est à voir)… Un véritable enchantement !

Les thèmes liés à l’histoire du film

En plus d’être une réussite esthétique, L’Étrange Noël de monsieur Jack dégage également une vraie poésie et comporte plusieurs thèmes de réflexion chers à Tim Burton. Comme souvent, il raconte l’histoire de personnages marginaux ; ils veulent ici prendre part à une fête qu’ils ignorent et qui leur semble tout à fait réjouissante (on le voit à l’émerveillement de Jack Skellington lorsqu’il découvre Christmas Town). Malheureusement, leur différence entraîne leur souffrance, puisqu’ils sont incompris et ne peuvent, à cause de leur nature, se rendre compte de leurs maladresses dans l’organisation de la fête. Et aucun personnage d’Halloween Town, aussi repoussant soit-il, n’est véritablement mauvais. La distinction entre les bons et les méchants n’est jamais nette dans les films de Burton et on retrouve cette caractéristique dans L’Étrange Noël de monsieur Jack même Oogie Boogie, qui paraît être la plus malfaisante des créatures de la ville (il habite d’ailleurs en marge de celle-ci), n’est pas complètement antipathique : il est tout juste un peu extravagant. Comme le dit Tim Burton, « il symbolise juste le voisin bizarre d’à-côté ». En plus de ces significations visibles à l’écran, on sent que le film a une résonance intime pour Burton et que chaque élément du film a un sens propre, même si les choses ne sont pas exprimées clairement. Par exemple, le personnage de Jack est peut-être le reflet de son créateur, en ce sens qu’il veut faire les choses autrement et qu’il se heurte à l’incompréhension et à la méfiance des autres. Tim Burton a d’ailleurs écrit le poème dont est issu le film au moment où il travaillait chez Disney comme artiste-concepteur. A cette époque, il présentait à ses employeurs des créations originales mais qui ne convenaient jamais par rapport à ce qu’ils recherchaient. Finalement, pratiquement aucune de ses idées ne fut retenue pour les grands films de Disney. Jack est donc proche de Burton puisqu’il veut lui aussi faire les choses à sa manière, en étant résolument optimiste. De plus, le fait qu’il se laisse emporter par ses émotions et ses sentiments fait également penser à Burton qui, bien souvent, exprime ce qu’il ressent et ce qu’il aime dans ses films, parfois même sans s’en rendre compte.

Etrange Noël de monsieur jack

Un chef-d’œuvre signé Tim Burton

Plus encore qu’Edward, L’Étrange Noël de monsieur Jack est le film de Tim Burton par excellence. En ce sens, il est le plus universel de sa filmographie et saura toucher aussi bien les fans (forcément) que les néophytes. L’ombre du cinéaste plane sur chaque séquence du film, et tout ce qui fait la force de son cinéma se retrouve dans l’histoire du Roi des citrouilles d’Halloween Town. Et c’est sans doute l’émotion véhiculée par ces personnages à l’air idiot qui est la clé de la réussite incroyable de ce film d’animation. On se demande encore comment Burton a réussi à trouver un équilibre aussi parfait entre poésie, mélancolie, humour et puissance dramatique. Il serait à mon sens extrêmement réducteur de ne voir en L’Étrange Noël de monsieur Jack qu’une formidable réussite esthétique. Car en plus de la beauté hallucinante des images tournées par ce génie de l’animation qu’est Henry Selick (qui s’exprime magnifiquement en solo dans James et la Pêche Géante), le film touche le spectateur comme rarement une œuvre d’animation a pu le faire, Burton rejoignant le grand maître du dessin animé, Hayao Miyazaki. Comme souvent chez Burton, c’est au cours de scènes touchées par la grâce que le film atteint des sommets émotionnels qui subliment alors l’ensemble du métrage. Je pense au désespoir de Jack Skellington après la chute de son traîneau, à la complainte de Sally qui est la plus belle séquence chantée du film, au saut dans le vide de cette dernière, qui a presque plus d’impact qu’un véritable suicide, et enfin au final absolument sublime du film, comme le veut la tradition Burtonienne. Toute la magie du film est présente dans cette scène où la neige a recouvert le cimetière de la ville, et offre au couple Jack/Sally un cadre féérique pour les dernières notes du film, inoubliables et d’une beauté qui tient véritablement du miracle (et aussi, il est vrai, au talent du grand Danny).

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